2024 : l’année du populisme
Le phénomène est déjà ancien, lancé dans un assaut multiforme contre les régimes de liberté. Mais cette année, le national-populisme a franchi une étape décisive.
C’est un mal qui ne cesse de s’étendre. Il mine les démocraties de l’intérieur, attise la démagogie, barricade les nations, attire vers l’autoritarisme les peuples désorientés par une mondialisation mal maîtrisée. Rien de neuf, dira-t-on : cette vague populiste enfle depuis plus de dix ans. Certes. Mais elle a franchi cette année une étape décisive. Elle a submergé en novembre dernier la première démocratie du monde, offrant un exemple qui risque maintenant de faire école dans plusieurs autres, la France au premier chef.
Dans quelques jours, Donald Trump prêtera serment devant le Capitole que ses partisans avaient vainement assailli il y a quatre ans. Il arrive fort d’une victoire nette, d’une expérience de gouvernant, entouré d’une équipe à sa dévotion qui ne fera rien pour modérer ses foucades et dispose d’un plan soigneusement réfléchi. S’est-il assagi à l’approche de son second mandat ? Rien ne l’indique, au contraire. Ses voeux numérique, aussi extravagants que ses outrances de campagne, en sont la preuve éclatante : il revendique maintenant la souveraineté sur le Canal de Panama, sur le Groenland, et propose sans plaisanter d’annexer le Canada qui deviendrait le 51ème état américain.
Ses objectifs sont clairs, et on voit mal ce qui pourrait l’empêcher de les atteindre, dans la mesure où les Républicains, gagnés à sa cause plus que jamais, contrôlent le Congrès et la Cour Suprême. D’abord l’établissement de droits de douane prohibitifs aux frontières, qui affaiblira d’autant les autres économies ; ensuite l’expulsion massive des migrants illégaux, ceux que l’Amérique avait l’habitude de régulariser et qui seront cette fois chassés en masse ; enfin le recul de l’État fédéral confié à son ami Elon Musk, qui n’a pas l’habitude de lésiner sur les moyens. S’il y parvient, ce qui n’a rien d’invraisemblable, l’année 2024 restera comme le point de départ de la deuxième révolution conservatrice américaine, version protectionniste et xénophobe de celle enclenchée par Ronald Reagan en 1980. Consciemment ou non, activement ou par la seule force de l’exemple, Trump devient la figure de proue du national-populisme mondial. Il a ses émules ou ses épigones dans de nombreux pays.
En Hongrie, Viktor Orban est solidement installé au pouvoir, contrôlant les médias directement ou indirectement, intimidant la justice et tissant des liens étroits avec l’oligarchie économique. Autour de lui des forces comparables jouent un rôle essentiel, au pouvoir ou dans l’opposition, en Slovaquie, en République Tchèque, en Pologne ou en Roumanie, menaçant à l’est la cohésion fragile de l’Union européenne. En Italie, Giorgia Meloni s’est habilement fait accepter par les Européens et mène sa politique avec prudence mais détermination. En Allemagne, en Grande-Bretagne, les difficultés de la social-démocratie au pouvoir facilitent la tâche des nationalistes, certes minoritaires, mais en progression constante. Bastion démocratique, l’Europe est désormais soumise à la pression croissante de forces hostiles qui la tiennent pour une adversaire à abattre, même si elles sont encore contenues par l’attachement majoritaires des peuples à l’Union.
Si l’on ajoute à ce tableau les menées agressives, militaires, diplomatiques ou économiques, des nouveaux empires, la Russie, la Chine ou la Turquie, on constate avec angoisse que les régimes de liberté, qui semblaient hégémoniques à la fin du XXème siècle, doivent relever au XXIème un défi majeur, peut-être mortel. Dans cette lutte planétaire, la France qui s’enfonce dans une crise politique délétère et se retrouve prise dans l’étau des deux extrêmes se retrouve en première ligne.
Les démocrates, les gauches en premier lieu, doivent y réfléchir dans l’urgence. Tant qu’ils n’auront pas trouvé le moyen de rassurer les nations, de retrouver leur audience dans les classes populaires, de pallier le décrochage industriel, de réduire les inégalités, de garantir la protection sociale, de conjurer les peurs identitaires et de maîtriser l’immigration dans les respect de leurs valeurs, ils verront peu à peu basculer le monde qu’ils ont construit à grand-peine après la Seconde Guerre Mondiale et progresser sous une forme nouvelle les forces obscures qui dominaient les années trente.