2024 : un nouveau Proche-Orient
La victoire militaire d’Israël et la chute de Bachar el Assad sont en passe remodeler la région, dans un monde de plus en plus dangereux.
Rupture majeure : de Damas à Moscou, de Jérusalem à Beyrouth et de Gaza à Kiev, les plaques tectoniques qui commandent la vie internationale viennent de bouger comme jamais. Il suffit, pour s’en rendre compte, de s’arrêter sur les deux temps forts de la crise au Moyen Orient : la chute de la dynastie Assad en Syrie et la guerre qui s’éternise dans l’enclave palestinienne de Gaza.
Le 27 septembre dernier, Benjamin Netanyahou est à la tribune des Nations Unies. Il annonce un changement dans l’équilibre des forces régionales et souhaite l’avènement d’un « nouveau Moyen Orient » à la faveur des confrontations en cours depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023. Dans sa vision, la menace iranienne va disparaître. Le Premier ministre israélien évoque en effet Téhéran, comme le chef de file de « l’axe du mal » mais a-t-il pensé à cet instant à la Syrie qui hébergeait à l’époque encore les forces du Hezbollah ?
Dix semaines plus tard, la Syrie change de régime. La dictature de la famille Assad est balayée par des rebelles islamistes de l’Organisation de Libération du Levant (HTC), souvent d’anciens de Daech, qui ne parlent plus d’instaurer un califat à Damas. Le nouvel homme fort est Ahmed Al-Charaa, qui reçoit très vite Hakan Fidan, le Ministre turc des Affaires étrangères et le chef des services secrets d’Ankara. La Turquie a accompagné la percée des rebelles sur Damas.
A l’issue de cette séquence syrienne, il y a deux vainqueurs et deux perdants. La Turquie du Président Erdogan a gagné un allié précieux à Damas et un nouvel espace stratégique sur son flanc sud, pour autant qu’elle parvienne à chasser les populations kurdes sympathisantes du PKK en créant une zone tampon dans le nord de la Syrie. Le second bénéficiaire est Israël, qui, dans la foulée de la victoire des rebelles a détruit les défenses aériennes léguées par Assad. Après avoir frappé durement le Hezbollah au Liban, Tel Aviv peut être satisfaite de voir désormais l’Iran incapable d’acheminer à travers la Syrie l’artillerie dont les obus s’abattaient sur le nord d’Israël. Dirigé par le régime des mollahs, « l’axe de la résistance » est en recul, et rien ne dit que la pression ne va pas encore augmenter contre Téhéran avec l’arrivée de Donald Trump aux affaires.
De son côté, la Russie reçoit l’ancien tyran de Damas dans une datcha d’exil proche de Moscou. Poutine n’a pas été en mesure de sauver son allié Assad comme il l’avait fait une première fois en septembre 2015 en faisant bombarder les villes syriennes tenues par les insurgés islamistes.
Il n’est pas certain, en outre, que les Russes puissent conserver leurs bases militaires de Lattaquié et Tartous en Méditerranée orientale. Ce « lâchage » par la Russie d’un de ses alliés dans une région stratégique écorne l’image de Moscou. Elle fera sans doute réfléchir les alliés de la Russie ailleurs dans le monde.
Vladimir Poutine n’avait plus les moyens de soutenir Assad. Il se concentre sur son combat en l’Ukraine. Il veut consolider un rapport de force que lui soit favorable avant l’arrivée des Républicains à la Maison blanche.
En février prochain le conflit ukrainien entrera dans sa troisième année. A l’époque, l’Europe presque unanime s’était opposée à l’agression russe, mais, déjà, certains pays du Sud n’avaient pas condamné l’offensive de Moscou. Au début de l’invasion russe, les massacres de Boutcha près de Kiev avaient provoqué une émotion considérable et une large mobilisation des pays occidentaux.
Ensuite il y a eu l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2023, une dévastation avec 1200 morts et des dizaines d’otages. Un cyclone de feu s’est abattu sur Gaza. Aujourd’hui, on parle de 45.000 victimes du côté palestinien. Les critiques montent depuis les pays émergents qui dénoncent le sort fait aux Gazaouis et déplorent l’abandon des droits des Palestiniens depuis l’échec des accords d’Oslo.
La concomitance entre les guerres d’Ukraine et du Moyen-Orient vient souligner l’inégalité de traitement des pays occidentaux. Tous ces pays du Sud ne forment pas un bloc homogène bien sûr mais beaucoup reprennent la formule « deux poids, deux mesures ». Au centre de toutes les critiques, le soutien des États-Unis à Israël, Washington étant même incapable d’imposer à ses alliés l’ouverture de couloirs humanitaires pour les Gazaouis.
En Ukraine comme à Proche-Orient, les conflits en cours accélèrent la fragmentation du monde. Crimes de guerre, crimes contre l’humanité, nombreuses victimes civiles, ces crises constituent à l’évidence des ruptures sans précédent contre le droit international. Elles percutent surtout l’équilibre mis en place au lendemain de la Seconde guerre mondiale, et placent les démocraties devant un défi crucial.