A69 : l’autoroute dépassée
La polémique autour de la voie rapide Castres-Toulouse en construction pose une question philosophique : faut-il continuer à pratiquer le culte de la vitesse ?

On comprend l’ire des partisans de l’A69. Destinée à relier le pays de Castres, qui se juge enclavé, à Toulouse, la capitale régionale, cette autoroute doit réparer ce qui est vécu comme une injustice un peu méprisante par la population du lieu. Après un parcours du combattant interminable et en raison de l’échec des innombrables recours déposés par les opposants, le projet a finalement été mis en chantier et largement entamé. Arrêter maintenant, disent les pro-A69, c’est faire une croix sur quelque 300 millions d’euros de dépenses déjà engagées, dans un spectaculaire gaspillage d’argent public. Rageant…
Seulement voilà : depuis février dernier, l’autoroute n’est pas seulement contestée par des écologistes qu’on décrit comme hirsutes, agressifs et anti-bagnole. Il a été déclaré illégal par les juges du tribunal administratif de Toulouse. Certes, l’État a fait appel et les travaux ont continué. Mais le sort de l’A69 est désormais suspendu à la décision de l’instance d’appel en novembre prochain. Autrement dit, tout se complique : ce n’est plus seulement la contestation militante qui fait obstacle à la marche triomphale du progrès autoroutier, mais la loi elle-même.
Celle-ci, avec une certaine sagesse, a pris acte de la rapide extinction de nombreuses espèces animales et végétales bousculées dans leur écosystème par l’activité humaine. Elle a donc décidé de protéger la biodiversité faisant la (longue) liste des oiseaux, des mammifères, des insectes dont il faut désormais tenir compte avant de se lancer dans des travaux de ce genre. Une préoccupation pratiquement absente au moment du lancement du plan A69 (il y a plus de trente ans).
Paralysie programmée ? Non : la loi prévoit une exception à cette protection de la nature. Si le projet répond à un besoin public majeur, ses promoteurs peuvent s’affranchir des contraintes liées à la biodiversité. Problème : les juges administratifs, jetant un pavé dans la mare automobile, ont estimé que l’A69 ne faisait pas partie de ces projets indispensables. L’autoroute fait gagner vingt minutes sur le trajet Castres-Toulouse, alors que les deux villes sont déjà reliées par plusieurs moyens de transport. Ces vingt minutes, a dit la justice, ne valent pas les menaces que la nouvelle voie fera peser sur une centaine d’espèces protégées.
Rupture pour ainsi dire philosophique : le tribunal contredit le culte de la vitesse hérité des années de forte croissance. Sans le dire, il fait en quelque sorte l’éloge de la lenteur, à rebours de la course à la rapidité qui a présidé au développement des transports depuis la naissance du chemin de fer et de l’automobile il y a près de deux siècles. Il ne faut plus, affirment implicitement les juges, dépenser des milliards et sacrifier les paysages pour quelques minutes de moins. Déjà, le gouvernement, à la recherche d’économies budgétaires, commence à douter de la pertinence de certains tronçons de ligne à grande vitesse qu’on envisage de construire. Le temps, désormais c’est trop d’argent…
Tel est le malheur de l’A69 : elle arrive trop tard dans un monde qui se déprend peu à peu de l’obsession de la vitesse et de la maîtrise impérieuse de la nature. Peut-être la justice administrative décidera-t-elle, in fine, qu’il est trop tard pour reculer, ce qui peut se comprendre. Mais elle donnera alors son feu vert à un projet anachronique.