Adieu à l’Amérique

par Laurent Joffrin |  publié le 28/02/2025

C’est une nouvelle nation qui naît outre-Atlantique, bien différente de celle que nous connaissions. Celle-ci est fermée, hostile, déterminée à faire prévaloir en permanence ses intérêts sur ceux de ses anciens alliés au nom d’un capitalisme identitaire et autoritaire.

Laurent Joffrin - Photo JOEL SAGET / AFP

Le tourbillon de mesures et de déclarations qui émanent de l’administration Trump ne doit pas nous faire perdre de vue le projet qui les sous-tend. Un modèle nouveau apparaît en Occident, celui d’un capitalisme à la fois débridé, nationaliste et autoritaire. Il rejette l’Europe, mais aussi l’héritage de la grande nation légué par Wilson, Roosevelt, Obama ou Biden. L’Amérique qu’on aime, celle de Frank Capra, de Martin Luther King, de John Kennedy ou de Bob Dylan, est reléguée au second plan, sidérée et impuissante. Désormais les milliardaires réunis autour de la Maison-Blanche, avec Elon Musk et Donald Trump pour figures de proue, imposent leurs vues à tout un pays. Une nouvelle Amérique est née, dangereuse et impérieuse, qui s’est placée à la tête d’une internationale réactionnaire pour le grand bénéfice des tyrans de la planète.

Cette Amérique est fermée : son économie se retranche derrière des droits de douane dissuasifs, qui handicaperont la croissance des autres pays ; son administration a commencé d’expulser des milliers de sans-papiers, dont le nombre pourrait, selon Trump, passer à plusieurs millions, tout en dissuadant de nouveaux immigrés de se présenter à la frontière américaine ; son gouvernement a réduit à la portion congrue l’aide qu’il apportait aux autres pays ; il est surtout enfermé dans bulle cognitive, où la réalité doit se plier aux « vérités alternatives » du mouvement MAGA qui le rendent imperméable à toute argumentation rationnelle et donc à tout dialogue.

Cette Amérique est sans règle : Donald Trump a démantelé l’appareil réglementaire et législatif qui tentait de contenir les excès de la finance ; il laisse libre cours à la rhétorique antivaccins de son ministre de la Santé Robert Kennedy Junior, qui a prononcé le recul de la science et de la médecine aux États-Unis ; il se retire de l’accord mondial sur le climat et abolit tout effort de régulation écologique dans son pays, au profit des industries polluantes ; il épaule avec force les efforts des multinationales de la tech destinés à proscrire toute régulation des réseaux numériques.

C’est une Amérique des discriminations : il rétablit l’exclusion dont les personnes transgenres étaient les victimes, inscrivant même leur effacement dans la constitution ; il annule toutes les politiques susceptibles de lutter contre la discrimination des minorités ou des femmes ; il tient sur ces questions un discours régressif et agressif qui nous ramène bien avant les années 1960.

C’est une Amérique impérialiste, pour ses voisins en tout cas : Donald Trump annonce qu’il veut annexer le Canada et le Groenland, exige un contrôle sur le canal de Panama, refuse des règles du multilatéralisme et de la concertation internationale, au profit d’une realpolitik de l’argent et de la puissance militaire.

C’est enfin une Amérique autoritaire, où le président gouverne par décret sans consulter son Parlement, veut mettre au pas les médias indépendants à l’aide de ses amis milliardaires, peuple son administration d’affidés, tient pour nul et non avenu le résultat des élections quand elles lui sont défavorables et gracie les émeutiers factieux qui ont tenté d’imposer par la force la prolongation de son premier mandat. On parle maintenant d’un amendement constitutionnel qui lui permettrait de se représenter à la fin de celui-ci…

Certains croyaient jusque-là que le capitalisme libéral favorisait la démocratie. C’est le contraire qui se produit aux États-Unis : dans un vicieux paradoxe, la vague anti-élites a mis au pouvoir une élite de l’argent qui tient les procédures démocratiques pour des obstacles nuisibles dont il faut s’affranchir. Face à une telle menace, le temps de la sidération est passé et, encore plus, celui de la conciliation : l’heure est au combat.

Laurent Joffrin