Affaire Bayou : le pilori écologiste
Au lieu de laisser la justice faire son travail, un parti politique s’est arrogé le droit d’enquêter, de juger et de condamner, dans l’urgence et sans cadre légal. Le résultat est accablant.
PAR CÉCILE FADAT

Le verdict est tombé : absence d’infraction. Après deux ans d’emballement médiatique, d’exclusion politique et de mise au ban sociale, la justice a tranché. Mais ce jugement ne suffira pas à réparer les ravages causés par une mécanique où l’opinion publique a pris le pas sur les faits, et où l’engagement féministe, pourtant essentiel, s’est trouvé instrumentalisé au détriment même des combats qu’il porte.
En juillet 2022, la cellule interne du parti Les Écologistes, chargée des violences sexistes et sexuelles, reçoit un signalement visant Julien Bayou, alors député et secrétaire national du parti.
Le 19 septembre 2022, Sandrine Rousseau déclare publiquement “avoir connaissance d’éléments de nature à briser la santé mentale des femmes”, suggérant ainsi des faits graves sans pour autant fournir d’éléments concrets. Dès le lendemain, Julien Bayou se met en retrait de la coprésidence du groupe écologiste à l’Assemblée nationale et démissionne de son poste de secrétaire national d’EELV, tout en clamant son innocence.
En 2023, la cellule interne clôt finalement l’affaire, faute d’éléments probants. Julien Bayou se dit blanchi et réintègre son groupe parlementaire.
En mars 2024, son ex-compagne Anaïs Leleux dépose plainte pour harcèlement moral et abus de faiblesse, relançant l’affaire sur la place publique. Après quinze années d’engagement politique, Julien Bayou, fragilisé, renonce à se représenter aux législatives partielles de juin 2024.
Moins d’un an plus tard, le 20 février 2025, le parquet de Paris classe définitivement l’affaire pour “absence d’infraction”.
Ici, une cause juste a été détournée : au lieu de laisser la justice faire son travail, un parti politique s’est arrogé le droit d’enquêter, de juger et de condamner, dans l’urgence et sans cadre légal. Le résultat est accablant : un homme innocenté par la justice, mais détruit socialement, tandis qu’un combat féministe essentiel se retrouve fragilisé par des méthodes expéditives.
Nous avons collectivement progressé pour que la parole des femmes soit enfin entendue. Trop longtemps, les violences qu’elles subissent ont été minimisées, tues, ignorées. Il était nécessaire de briser l’omerta et de reconnaître la gravité des abus. Mais pour être efficace et juste, cette parole doit s’inscrire dans un cadre rigoureux, celui de la justice. La cause féministe ne peut se permettre d’être associée à des condamnations hâtives ou à des accusations qui ne reposent sur aucune infraction établie. Ce qui donne de la force à ce combat, c’est précisément l’exigence de vérité et d’équité.
L’affaire Bayou marque un tournant inquiétant : en cherchant à juger et à sanctionner en dehors des institutions légitimes, certains ont affaibli la cause qu’ils prétendaient défendre. Confondre l’intime et le pénal, c’est risquer d’instrumentaliser un combat essentiel à des fins partisanes. Et lorsque la justice innocente un homme, mais que l’opprobre demeure, c’est tout le principe d’une justice impartiale qui vacille.
Nous sommes intransigeants face aux violences faites aux femmes, mais cette exigence ne peut s’accompagner d’un contournement des principes élémentaires du droit. Une société où l’accusation vaut condamnation n’est pas une société plus juste, c’est une société où, à terme, la parole des victimes elle-même perdra en crédibilité. Seule la justice, avec ses garanties et sa rigueur, peut protéger à la fois les victimes et les accusés.
Féminisme et état de droit ne doivent pas s’opposer mais avancer ensemble. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons continuer à combattre efficacement les violences, tout en garantissant une société où c’est la vérité, et non la pression médiatique, qui dicte les jugements.
(*) Cécile Fadat est travailleuse sociale et militante socialiste.