Allemagne : Scholz, lanterne rose

par Pierre Benoit |  publié le 11/02/2025

La gauche est à la peine en République fédérale à quinze jours des élections, tandis que droite et extrême-droite marquent des points, en dépit d’une forte mobilisation anti-AfD dans la rue.

Le duel télévisé entre le chancelier fédéral OLAF Scholz (SPD) et Friedrich Merz, candidat de la CDU au poste de chancelier et président fédéral de la CDU, à Berlin le 9 février 2025. (Photo KAY NIETFELD / dpa Picture-Alliance via AFP)

Match nul. Pour leur premier duel télévisé, le chancelier sortant Olaf Scholz et le leader conservateur Friedrich Merz sont restés dans les limites d’un échange convenu. Dimanche, à deux semaines des législatives, le patron de la CDU est resté calme, le sourire aux lèvres, sous les attaques de Scholz. Distancé dans les sondages le chancelier social-démocrate a bien cherché à déstabiliser son adversaire en lançant quelques piques, mais son challenger a choisi l’esquive.

Tout le monde attendait le duel sur la question migratoire. Scholz avait devant lui l’homme qui avait brisé le « tabou » en vigueur depuis 1945, en faisant passer le 31 janvier au Bundestag une résolution proposant de durcir les lois sur l’immigration avec l’appui du parti d’extrême droite Alliance pour l’Allemagne (AFD). « Comment peut-on être aussi stupide ? » a lancé Scholz sur un ton de reproche. La phrase à fait pchit, Merz rétorquant « ce que vous racontez est un conte de fée qui n’a rien à voir avec la réalité des villes du pays ».

Devant Scholz, il a démenti toute alliance avec l’AFD. Il l’avait déjà fait trois jours après le passage de la fameuse motion sur les migrants. Le 3 février devant le congrès de son parti à Berlin, il s’était aussi engagé à faire reculer le score de l’extrême droite aux élections du 23 février.

Personne ne pense qu’il puisse y parvenir, personnes ne croit non plus à son rejet opportuniste vis-à-vis de l’AFD. La CDU qui caracolait en fin 2024 à plus de 30% des intentions de vote serait en recul d’un point selon les derniers sondages. Adoubé par Elon Musk, l’AFD d’Alice Weidel est en hausse à 21%. En fragilisant le cordon sanitaire en vigueur depuis la seconde guerre mondiale, le conservateur Friedrich Merz a provoqué un véritable séisme en Allemagne. Toutes les villes du pays connaissent depuis quinze jours des rassemblements gigantesques, à l’image des cortèges qui ont eu lieu samedi 8 février à Munich avec plus de 250.000 manifestants.

Si « l’arc républicain » n’a jamais autant été défendu dans la rue, la dynamique électorale ne devrait pas changer pour autant : sauf coup de théâtre, Friedrich Merz succédera à Olaf Scholz. Personne n’imagine que le social-démocrate puisse réussir une quelconque « remontada » comme il avait pu le faire aux législatives de 2021 en se hissant à 26% des votants. Pour l’instant il plafonne à 16% des intentions de vote, ce qui le rapproche des Verts qui sont cotés à plus de 13%.

C’est peu dire que son face à face avec un chef conservateur ambigu a déçu les électeurs de gauche.

Ce scrutin arrive dans les pires conditions. Longtemps dépendante du gaz russe, l’Allemagne a dû faire face au conflit ukrainien et se réadapter. Son soutien à Kiev représente 44 milliards d’euros depuis le début du conflit avec Moscou. Les menaces de sanctions brandies par Donald Trump peuvent aussi avoir des effets négatifs sur une économie déjà déprimée. En deux ans de récession, plus de 300.000 emplois ont disparu et le rythme des faillites ne faiblit pas. Certains analystes estiment que le modèle économique du pays, fondé sur un maillage très dense de petites et moyennes entreprises qui a fait merveille dans les premiers temps de la « mondialisation », a vécu, qu’il faut en inventer un autre.

Les détracteurs d’Olaf Scholz le désignent parfois comme Scholzomat » (« l’automate »), pour souligner son côté austère, son manque de charisme. En décembre 2021, il succédait à la conservatrice Angela Merkel qui dominait alors la scène européenne. Il était conscient de ne pas avoir la bonhomie et la fermeté de ton de celle qui l’avait précédé. Mais il innovait en prenant ses fonctions avec une coalition baptisée « feu tricolore », une alliance inédite qui regroupait le SPD, les Libéraux et les Verts. Si conservateur Friedrich Merz arrive en tête le 23 février, on peut prévoir un tout autre scénario : une coalition, avec le SPD ou les Libéraux, chahutée en permanence par une extrême-droite qui bénéficie déjà de « l’effet Trump ».

Pierre Benoit