Alourdir les impôts des entreprises ? Solution dangereuse
Pour réduire le déficit, on sera tenté de taxer plus les entreprises en 2026. Mais dans une France qui se désindustrialise, est-ce une bonne idée ?
Un budget chasse l’autre. Celui de 2025 à peine adopté – dans la douleur – les réflexions sur le budget 2026 sont lancées. Le gouvernement de François Bayrou s’est engagé à ne pas reconduire la surtaxe exceptionnelle qui va toucher cette année les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard d’euros, et qui doit en rapporter huit milliards… sur lesquels Bercy ne devra pas compter en 2026. On criera au « cadeau fiscal »… Mais la gauche, qui a la tentation permanente de faire payer les entreprises, tout en souhaitant « réindustrialiser la France », ferait bien de réfléchir aux réalités qui émergent à la faveur de cette discussion.
Faire payer les boîtes les plus riches ? C’est logique. Les entreprises du CAC 40 ont versé 73 milliards d’euros de dividendes en 2024 et consacré en sus 25,5 milliards à des rachats d’actions : leurs actionnaires seraient malvenus de plaindre quand on leur demande de participer au redressement des comptes publics. Mais un détail devrait titiller les stratèges budgétaires de la gauche : la Banque de France fait remarquer que près de 50% des actions du CAC sont détenues par des actionnaires étrangers. Ces non-résidents resteront-ils fidèles aux valeurs françaises s’ils estiment que leur investissement est mal rétribué ? Rien n’est moins sûr. Autrement dit, toute politique fiscale doit aussi tenir compte des impératifs de compétitivité des entreprises si l’on souhaite qu’elles continuent d’investir et de créer des emplois.
Le patronat a bien sûr la manie de gémir en permanence, comme l’a fait Bernard Arnault séduit par les largesses trumpiennes. Mais on doit aussi écouter l’argumentation pédagogique d’autres chefs d’entreprises, comme celle que Florent Menegaux, président de Michelin, vient de développer au Sénat. Pour une activité identique, les coûts salariaux sont très différents d’un pays à l’autre. Si l’on part de l’indice 100 en Asie, on passe à 174 aux Etats-Unis, et à 191 en Europe. En France, quand une entreprise paie 100 euros un salarié, elle verse en réalité 142 euros si l’on compte les divers prélèvements sociaux, tandis que le salarié, cotisations déduites, ne touche en net que 77 euros. En Allemagne, pour un même salaire de 100 euros, le coût total pour l’entreprise n’est que de 120 quand le salarié touche 80 euros en net. Une illustration du différentiel de prélèvements obligatoires, qui plombe l’attractivité de la France. De quoi se poser quelques questions…
On déplore à juste titre la désindustrialisation qui frappe La France depuis des lustres. En 2012 déjà, le rapport Gallois tirait la sonnette d’alarme. Il préconisait un « choc de compétitivité » en transférant une partie significative des charges sociales vers la fiscalité. Directement inspiré de ce rapport, le CICE de François Hollande pour l’investissement et l’emploi fut un choc salutaire, mais ses effets se sont estompés. L’impôt sur les sociétés a été abaissé ensuite à 25%, mais les Etats-Unis appliquent un taux de 15%. De plus, les impôts de production continuent de grever les comptes d’exploitation, alors que leur disparition était programmée.
Comment ne pas relier ces indicateurs fiscaux à la chute de la part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée, qui est tombée… à 10% du PIB français. Emmanuel Macron avait prévu d’inverser la tendance pour parvenir à une proportion de 15% dans dix ans. On en est loin. Après le sursaut de 2021, les investissements industriels ont reculé l’an dernier et le nombre des fermetures d’usines a dépassé les créations. Immanquablement, les plans sociaux ont suivi. Les pays concurrents de la France soignent leur compétitivité fiscale pour conforter leur industrie. Pourra-t-on ignorer ces vérités désagréables dans le budget de l’année prochaine ?