America First ? Non : Trump First !

par Sébastien Lévi |  publié le 20/06/2025

La crise mondiale déclenchée par la guerre d’Iran offre à Trump l’émission de téléréalité rêvée, dont il est le héros tout-puissant et imprévisible.

Le 15 juin 2025, Donald Trump quittait la Maison-Blanche pour Calgary, au Canada. Il s'adressait à la presse avant son départ. Trump évoquait la situation en Iran et affirmait qu'il existe de « bonnes chances » de parvenir à un accord israélo-iranien malgré tout… (Photo Celal Gunes / Anadolu via AFP)

« Personne ne sait ce que je vais faire ». Cette phrase, prononcée par Donald Trump le 18 juin dernier, alors que bruissent les rumeurs d’une intervention militaire américaine contre l’Iran, résume parfaitement sa jubilation devant un monde qui attend nerveusement la décision d’un président américain aussi imprévisible que mégalomane.

Ses hésitations révèlent en fait les contradictions de la coalition trumpiste, et interrogent le concept même d’ « America First », sa doctrine qui repose sur le rejet de l’immigration, du libre-échange et de l’interventionnisme militaire dans des guerres lointaines.

Trump a manifesté une certaine « agilité » idéologique sur d’autres sujets, comme les armes à feu, le droit à l’avortement, le périmètre de l’état providence ou la maîtrise des dépenses publiques. En revanche, ces trois rejets sont pour lui des invariants, qu’il professait avant même son entrée en politique, comme en attestent ses déclarations de longue date contre les voitures japonaises, l’immigration et son refus des guerres d’Irak et d’Afghanistan.

Le simple fait que l’éventuelle intervention américaine en Iran soit sur la table est d’ores et déjà une entorse majeure à « America First ». Au point qu’il a dû rappeler de manière cinglante que « lui seul pouvait dire ce qui était America First ». Il répondait ainsi au polémiste Tucker Carlson, incarnation de l’aile isolationniste du Parti Républicain sur laquelle Trump s’était appuyé pour prendre le contrôle du parti conservateur.

Pour mesurer l’ampleur de cet aggiornamiento, il faut imaginer le choc que seraient pour la galaxie MAGA la régularisation massive d’immigrés clandestins par Trump ou la signature d’un accord de libre-échange complet entre l’Union Européenne et les États-Unis… Ayant déclaré en 2016 qu’il pourrait tuer quelqu’un sur la 5ème avenue qu’il ne perdrait pas un seul soutien, il estime, sans doute à raison, qu’il peut tout se permettre avec à sa base.

Cet épisode traduit aussi le goût de Trump pour le chaos, l’imprévisibilité, sa nature influençable mais aussi le poids de son ego dans ses prises de décision, et la capacité des dirigeants étrangers à en jouer pour parvenir à leurs fins. Benyamin Netanyahu a compris que Trump peut être manipulé, à la condition expresse qu’il ne s’en rende pas compte et se croie toujours maître de la situation. En ce sens, quand le président américain dit : « Nous avons pris le contrôle du ciel en Iran », on devine le sourire de satisfaction qui s’est dessiné sur le visage de Netanyahou. Grâce à son habileté, il a fait de Trump, non plus un soutien récalcitrant, mais un acteur enthousiaste de cette guerre.

Un autre aspect de son ego a été souligné par le spécialiste des questions militaires dans le grand quotidien israélien Haaretz, Amos Harel. Il concerne le surnom de « Taco » (« Trump always chickens out » – « Trump se dégonfle toujours » -) dont le président a été affublé. Harel explique à raison que pour démentir ce sobriquet qui le fait passer pour une poule mouillée, Trump pourrait du coup autoriser l’intervention des avions américains à attaquer la centrale nucléaire de Fordo, que les Israéliens ne peuvent faire seuls, faute d’armement adéquat.

Ces considérations peuvent apparaitre surréalistes ou puériles quand on parle de paix et de guerre, mais on ne saurait les balayer d’un revers de la main lorsqu’il s’agit de Trump, qui veut et doit apparaître en toutes circonstances à la fois puissant et imprévisible. « We’ll see what happens » (« On verra bien ce qui se passe ») est une phrase que Trump emploie ad nauseam, et qui lui permet de ménager la surprise sur ses intentions. La situation actuelle, avec un monde pendu à ses lèvres, est un rêve absolu pour lui. Le héros de télé réalité qu’il n’a jamais cessé d’être devient ici le personnage central de l’épisode le plus attendu de la saison en mondiovision et en direct, avec les dirigeants de la planète guettant sa décision, l’armée la plus puissante du monde à sa disposition, et des citoyens du monde inquiets, attentifs au moindre « Cliffhanger » (rebondissement). « America First » a peut-être du plomb dans l’aile, mais « Trump First » est plus que jamais d’actualité. N’est-ce pas là finalement l’essentiel ?

SEBASTIEN LEVI

Sébastien Lévi

Correspondant aux États-Unis