Angela, réveille-toi, ils sont devenus fous !

par Boris Enet |  publié le 30/01/2025

À 23 jours d’un scrutin législatif déterminant pour l’Allemagne et 80 ans après la libération d’Auschwitz, les droites allemandes lèvent un tabou en votant avec l’AfD. À Berlin, l’immigration s’impose comme première préoccupation devant l’économie aux arrêts. Une nouvelle digue cède.

Angela Merkel à Cologne, le 16 décembre 2024. (Photo de Rolf Vennenbernd / POOL / AFP)

Il n’aura pas fallu attendre beaucoup après la dernière attaque au couteau en Bavière. Longtemps résiliente, une courte majorité de la classe politique allemande a cédé aux sirènes de l’extrême-droite, après le drame. Les députés libéraux et conservateurs de la CDU/CSU ont voté par 348 voix contre 345, une loi exigeant des « contrôles permanents aux frontières », le refoulement des étrangers qui « ne possèdent pas de documents d’entrées valables ne relevant pas de la libre circulation européenne » et la mise en détention pour « une durée indéterminée des délinquants et personnes dangereuses tenues de quitter le territoire » jusqu’à expulsion. Conjonction signifiante avec la révolution populiste en cours à Washington et son chef, déterminé à renverser l’État de droit et les garanties constitutionnelles.

Le chancelier Olaf Scholz a eu beau rappeler qu’un tiers de la population allemande avait des origines étrangères et défendre avec conviction le droit d’asile, Friedrich Merz, chef des conservateurs, tente un coup de poker. À l’instar d’une partie de la droite française, emmenée par Éric Ciotti, les conservateurs se radicalisent sous la pression électorale et populaire de l’extrême-droite. 

À ces fins, Merz enterre Merkel comme la droite française a enterré Chirac, garants d’un cordon sanitaire avec l’extrême-droite et d’une tradition antifasciste autant pour des motifs politiques que moraux, voire confessionnels. Accusée d’avoir déstabilisé la société allemande en accueillant massivement des réfugiés syriens au plus fort de la crise en méditerranée orientale, Angela Merkel est devenue l’épouvantail des néo-conservateurs. Tant pis pour la crise démographique outre-rhin et les études indiquant le très fort degré d’intégration dans l’appareil productif. Les attentats de Mannheim, Solingen, Magdeburg ou Aschaffenburg ont produit des effets politiques délétères. 

Ce dernier tournant idéologique fragilise un peu plus le droit européen et la loi fondamentale de la République fédérale. Nous l’oublions trop. L’irrésistible poussée de l’extrême-droite en Europe n’est pas seulement une attaque concertée contre l’État de droit et les libertés fondamentales, elle menace prioritairement la construction européenne, ses acquis pratiques pour ses populations et ses valeurs, désormais isolés sur la scène internationale. Elle est relayée et encouragée par les têtes de pont de l’extrême-droite mondiale à Washington, se manifestant par le soutien réitéré d’Elon Musk aux chefs de l’AfD ou du Fpö autrichien.

Quel sera le résultat électoral d’un tel tabou levé ? Une partie de l’électorat traditionnel des conservateurs sanctionnera-t-il la dérive de ses représentants ? En France, les quarante dernières années ont plutôt démontré la préférence de l’électorat radical pour l’original plutôt que la copie. Appréciés dans une fourchette comprise entre 20 et 22% – bien davantage dans les lands de l’Est – le risque d’une bascule plus franche en faveur d’Alice Weidel et des loups de l’AfD, partisans de clins d’œil implicites au fascisme allemand sur leurs affiches électorales. Scholz a eu beau interpeler Merz, indiquant au Bundestag qu’il existe « des limites qu’un homme d’État n’a pas le droit de franchir », rien n’y fait. 

De quoi relativiser l’expression de « sentiment de submersion » utilisé par Bayrou. Pour l’heure, notre Premier ministre ne propose pas de franchir le Rubicon avec les troupes de Le Pen et Bardella, pour des raisons voisines à la dignité d’Angela Merkel sur le sujet. Mais tout est devenu fragile et temporaire dans la vieille Europe. Le mimétisme de la crise politique des deux côtés du Rhin interpelle forcément. 

Par-delà les distinctions administratives et institutionnelles, les deux premières économies de la zone euro, en grandes difficultés, sont au bord de la paralysie politique sous la pression des nationalistes. En ouvrant la boîte de Pandore parlementaire à l’extrême-droite, les conservateurs obèrent la possibilité de la grande coalition après le 23 février. Bien sûr, la situation serait inédite et la catastrophe n’est jamais acquise, mais l’Autriche voisine nous rappelle désormais que le pire est malheureusement possible. Raison de plus pour rester d’intransigeants européens contre les hordes nationalistes et ceux, issus de la gauche, qui leur ouvrent le chemin.

Boris Enet