Antigone à Beyrouth

par Thierry Gandillot |  publié le 18/01/2025

Adapté du roman poignant de Sorj Chalandon, « Le Quatrième mur » plonge avec une sourde angoisse dans la tragédie libanaise.

"Le 4ème mur" de David Oelhoffen avec Laurent Lafitte. D'après le roman de Sorj Chalandon. (Photo Eliph Productions - Rhamsa Produ / Collection ChristopheL via AFP)

Ancien de Libération, aujourd’hui membre du comité de direction du Canard Enchaîné, Sorj Chalandon s’est mis à l’écriture il y a une vingtaine d’années seulement. Il avait alors passé la cinquantaine. Dans l’exercice du roman, il a conquis les jurés de prix majeurs parmi lesquels le Médicis, l’Académie Française ou le Goncourt des lycéens, mais aussi un large public. Ces succès de librairie sont désormais amplifiés par les adaptations en bande dessinée : « Profession du père », « Le jour d’avant », « Retour à Killybegs » et « Le Quatrième mur ». Ce dernier livre a fait l’objet de cinq adaptations théâtrales, et maintenant d’un film.

« Le Quatrième mur » se passe au Liban en 1982, l’année des massacres de Chabra et Chatila. Chalandon y était, ce fut l’une des expériences les plus traumatisantes de son existence. Après un passé assez violent de militant d’extrême-gauche, Georges (Laurent Lafitte) se rend au Liban pour honorer une promesse faite à un ami mourant : monter « Antigone » à Beyrouth avec des acteurs de toutes les clans politiques et religieux : chiites, chrétiens, juifs, druzes. Un pari fou, utopique, une chimère …

Georges ne connaît rien au Liban et débarque dans un monde en plein chaos dont il ignore tout des règles de survie. Marwan (Simon Abkarian), l’accueille à son arrivée ; il lui servira de mentor tout au long de ce premier séjour – il y en aura deux. Il lui donne plusieurs laisser-passer qu’il faut présenter à chaque fois que l’on entre dans une zone tenue par telle ou telle faction. La première fois, Georges commet une bourde qui aurait pu leur coûter cher : il sort les quatre laisser-passer en même temps et les tend à l’homme armé qui le regarde consterné. Marwan lui explique : « Tu mets un laisser-passer dans chaque poche et tu ne te trompes pas de poche au check-point. »

Georges finit par apprendre, ce qui ne l’empêchera pas de frôler le pire. Sa quête pour monter « Antigone » est semée d’embûches mais l’obstination naïve qu’il y met finit par effacer, un à un, les obstacles. Jusqu’au moment où la tragédie de l’Histoire – celle qu’illustre si bien destin dramatique d’Antigone – fait violemment irruption, fracassant l’utopie théâtrale de Georges.

Le réalisateur David Oehloffen met tout son savoir-faire au service du drame. Tourné au Liban, principalement à Beyrouth, il utilise au mieux le talent de Laurent Lafitte et de Simon Abkarian, pour ne citer qu’eux. Les autres acteurs ne sont pas, pour la plupart, des professionnels, mais ils sont admirables de sincérité. Oehloffen sait faire sourdre l’angoisse de cet homme, lié par sa promesse, jeté dans la fournaise de ce conflit aussi violent qu’ indéchiffrable dont il n’aura jamais les clefs. A mesure que le récit progresse, le sentiment d’un destin inéluctable – le « fatum» des Latins – vient peser sur les épaules du spectateur. Comme le relève Sorj Chalandon : « Une balle de 9 millimètres sera toujours plus rapide qu’un alexandrin. »

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture