Antisémitisme à l’école : ce qu’on n’ose pas dire
L’étude de la fondation Jean Jaurès, en partenariat avec le CRIF et l’IFOP sur la réalité de l’antisémitisme dans l’école de la République, depuis le 7 octobre 2023, est un pavé dans la mare.

Les Juifs représentent moins de 1% de la population française. Pourtant, ils demeurent la proie des représentations les plus haineuses, des fantasmes les plus surannés, des imbécilités les plus nuisibles. Nul ne l’ignore, cela vient de loin. Mais force est de constater que les évènements proche-orientaux, le pogrom du 7 octobre 2023 et la guerre de Gaza ont provoqué le franchissement d’un seuil dans la banalisation hideuse du mal, légitimant les discours et comportements violents à leur encontre.
Les chiffres sont sans appel. 42% des jeunes juifs ont déjà été victimes d’antisémitisme dont 22%, après le 7 octobre 2023. Le ministère de l’éducation nationale recense 400 actes antisémites dans les établissements scolaires en 2022-2023 contre 1670 au cours de l’année 2023-2024 et près de 477 actes entre septembre et décembre dernier. Ainsi, 62% des victimes de ces actes antisémites le sont à l’intérieur d’un établissement public et laïc dont 42% à plusieurs reprises, avec une majorité d’agressions verbales ou physiques dans les collèges. Voilà donc ce que Melenchonov dénommait « l’antisémitisme résiduel. »
La conséquence de ces stigmatisations infâmantes se sont traduites mécaniquement par une augmentation de 10% d’enfants accueillis dans des écoles juives confessionnelles, une augmentation qui atteint 48% depuis 2000. Pour les autres, la stratégie la plus répandue adoptée est celle de l’invisibilité pour éviter de devenir une cible toute désignée. De quoi faire le lien entre le « djihadisme d’atmosphère » révélé par Gilles Kepel depuis une quinzaine d’années et une « judéophobie d’atmosphère » dont les vecteurs politiques principaux sont parfaitement identifiés.
Si 25% de la population française considèrent que « les Juifs sont responsables de la guerre dans la bande de Gaza », ce pourcentage grimpe à 36% à l’extrême-droite et 38% à l’extrême-gauche. Cette misère intellectuelle doublée d’une haine millénaire est décuplée dans les réseaux d’éducation prioritaire avec 66% de la population scolaire revendiquant au moins un préjugé antisémite. Parmi ceux-ci, le traditionnel fantasme du « contrôle des médias », et de la concentration des pouvoirs… sont autant de marqueurs de cette bataille culturelle et politique bien mal engagée par des hussards noirs fatigués, eux-mêmes travaillés au corps par les stéréotypes idéologiques les plus rétrogrades.
Si l’antisémitisme est un baromètre signifiant de l’état de la société, il faut s’en inquiéter dès à présent. Des pistes sont proposées pour l’école avec une expertise pratique à l’instar de Iannis Roder, enseignant d’histoire-géographie en Seine Saint Denis : dispositif de prévention et de sensibilisation spécifique, fresque contre l’antisémitisme, formation à la détection du phénomène, accompagnement des victimes et appui aux enseignants sont autant d’éléments utiles mais rien ne saurait remplacer la mobilisation tout entière du corps social, et des institutions.
Par-delà la douleur que suscitent de telles survivances, toujours révélatrices d’une crise profonde de la société, le risque est celui d’une fragmentation où les individus sont renvoyés à une identité unique, rabougrie, culturelle ou cultuelle, affaiblissant en proportion le creuset républicain. Face à la haine et à l’essentialisation des individus, la promesse universaliste est donc minée dès l’école, avec des enfants, objets de toutes les exploitations haineuses.
La gauche universaliste et démocratique n’a d’autres choix que de se pencher sur la question, sans relativiser la réalité du phénomène, sans opposer les discriminations infâmantes dont est victime la jeunesse, sans laisser de place à la concurrence mémorielle, ce poison lent extérieur à la gauche et qui pourtant a contaminé une partie d’entre elle. De quoi alimenter les travaux et la réflexion printanière pour celles et ceux qui, à gauche, prétendent retrouver leur histoire et leur électorat, leur dignité, une fois tournée la page du concubinage populiste.