Aphatie, Oradour et l’Algérie
Les Français qui ont conquis l’Algérie se sont-ils comportés comme le feraient les nazis un siècle plus tard ? Réponse aussi précise que possible…

Sur RTL, le journaliste politique Jean-Michel Aphatie débat des relation France-Algérie. Cherchant à expliquer les incessants contentieux qui opposent les deux pays, il revient sur les violences qui ont marqué la conquête coloniale. «Vous savez, dit-il, chaque année en France, on commémore ce qu’il s’est passé à Oradour-sur-Glane, c’est-à-dire le massacre de tout un village. On en a fait des centaines, nous, en Algérie. Est-ce qu’on en a conscience ? ».
« Jean-Michel, objecte Thomas Sotto de RTL, on n’a pas fait Oradour-sur-Glane en Algérie ! On s’est comportés comme des nazis en Algérie ? » Réponse d’Aphatie : « Les nazis n’existaient pas. On ne s’est pas comportés comme des nazis. Les nazis se sont comportés comme nous l’avons fait en Algérie. »
Aussitôt la droite et le RN, par la voix de la LR Florence Portelli et de quelques autres, se récrient en accusant Aphatie d’insulter la France, l’armée et les pieds-noirs, fustigeant hautement « un détournement odieux de l’histoire ». La télé Bolloré embraye et voue à son tour Aphatie aux gémonies. Faite d’invectives et de menaces diverses (« renvoyez-le en Algérie avec ses amis influenceurs », etc.), la polémique enfle.
De toute évidence, sur le premier point – y a-t-il eu des « Oradour » en Algérie ? – les contradicteurs ignorent l’histoire ou font semblant de ne pas la connaître. À Oradour en 1944, un bataillon de la division Das Reich a massacré la population de tout un village avant de l’incendier, comme elle l’avait fait souvent sur le front de l’Est, conformément aux ordres du Führer. En Algérie, au moment de la conquête, dans les années 1840, l’armée française a bien fait périr à plusieurs reprises des tribus entières, hommes, femmes et enfants, en les enfumant ou en les emmurant dans les cavernes où elles s’étaient réfugiées, conformément aux ordres du général Bugeaud, chef du corps expéditionnaire. «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, avait-il proclamé, enfumez-les à outrance comme des renards. » Dans les deux cas, il s’agissait de faire un exemple d’une implacable cruauté, de manière à terroriser la population et à intimider la résistance. Ainsi la comparaison établie par Aphatie est parfaitement légitime, quels que soient les cris d’orfraie poussés par les droites à l’évocation de ces réalités historiques attestées par les spécialistes.
En revanche, la phrase « Les nazis se sont comportés comme nous l’avons fait en Algérie » prête à confusion. Elle vaut pour ces crimes de guerre commis par des armées en campagne, même si une partie de l’opinion française, par ignorance ou mauvaise foi, a du mal à l’admettre. Mais ces exactions ne sont pas propres aux nazis et ceux-ci n’ont pas imité les seuls Français. Les cas de massacre de masse destinés à terroriser la population ont émaillé nombre de conflits depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. César pendant la Guerre des Gaules y a plusieurs fois recouru, comme Alexandre ou Gengis Khan à la conquête de leur empire, les armées de Louis XIV dans le Palatinat, les Américains pendant les « guerres indiennes » et tant d’autres armées conquérantes à travers l’Histoire.
Et surtout, la comparaison globale avec le nazisme se heurte à une autre réalité : la France en Algérie n’a jamais envisagé de pratiquer un génocide, lequel serait comparable avec celui qu’ont perpétré les nazis sur les Juifs européens. Il s’agissait de conquérir et de terroriser, non d’exterminer une population entière. L’unicité de la Shoah, cette entreprise de destruction industrielle de tout un peuple, confère à l’histoire hitlérienne une spécificité sans exemple. Comme souvent, l’assimilation de telle ou telle exaction meurtrière à celles qu’on commises les forces hitlériennes se heurte à cette vérité essentielle.
Autrement dit, les droites, tout à leur volonté de réhabiliter l’entreprise coloniale, donnent une version falsifiée de la conquête de l’Algérie, comme de la guerre d’indépendance. Mais Aphatie, en donnant le sentiment de pratiquer cet amalgame bien connu qu’on nomme « reductio ad hitlerum », a commis une maladresse dommageable.