Après la « submersion »…

par Valérie Lecasble |  publié le 28/01/2025

La bévue de François Bayrou qui a utilisé le « sentiment de submersion migratoire » pour qualifier ce que pensent les français a donné un coup d’arrêt aux négociations des socialistes avec Bercy sur la non-censure du budget.

Depuis le banc des députés socialistes, Boris Vallaud, député et président du groupe socialiste, prend la parole et s'adresse au premier ministre, le 28 Janvier 2025. (Photo Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP)

Cette salve-là, ils ne l’avaient pas anticipée. En pleine négociation avec Bercy sur les victoires politiques qu’ils entendent obtenir dans le budget 2025, les socialistes ont dû affronter la tempête médiatique déclenchée par le mot tabou de « submersion » utilisé lundi soir par François Bayrou lors de sa longue interview sur LCI pour qualifier le « sentiment » qu’ont certains Français vis-à-vis de l’immigration.

Outrepassant son rôle de Présidente de l’Assemblée nationale au profit de ses ambitions personnelles, Yaël Braun-Pivet donne le ton le lendemain matin en assurant qu’elle n’aurait pas utilisé ce mot-là. Submersion ? Cette expression a des relents d’extrême-droite, tonne en début d’après-midi lors des questions au gouvernement, Boris Vallaud, qui préside le groupe socialiste, avant de sommer François Bayrou de le retirer. Interpellé, le Premier ministre, au contraire assume mais ramène le « sentiment de submersion migratoire » à la situation à Mayotte où quelque 25% de la population est étrangère au département français. Tout est question de proportion avait-il affirmé la veille… La crise se clôt avec la publication à 17 h d’un communiqué à la demande du député socialiste Philippe Brun, négociateur en chef sur les questions budgétaires qui annonce la « suspension » des négociations en cours avec Bercy.
Stupeur dans les rangs.

Cet épisode, hautement inflammable, montre combien est fragile la ligne politique que tient François Bayrou. Accusé par la droite de faire les yeux doux aux socialistes, le voilà canardé par la gauche pour avoir donné des gages à l’aile droite de sa majorité. Une bévue ? Une maladresse à minima de la part du Premier ministre qui n’entend pas renoncer à dire ce qu’il pense, même s’il faut pour cela blesser ceux qui tiennent le destin de son gouvernement entre leurs mains.

De là à remettre en question la possibilité d’une non-censure, il y a un grand pas que peu de socialistes ont envie de franchir. Sommés de donner enfin un budget à la France, leurs députés sont interpellés dans leurs circonscriptions par tous ceux qui, comme le maire de Saint-Jean-de-Luz avec son stade de rugby, pestent de voir bloquées les subventions nécessaires pour fonctionner. Pas question non plus de renoncer à la grande conférence sociale qui se profile pour que les partenaires sociaux rouvrent ensemble la réforme tant honnie des retraites.

Le compte à rebours lancé, il reste une courte semaine avant le vote du budget le 4 février. « Le gouvernement connaît nos demandes », insiste l’un des protagonistes qui souligne la complexité de la situation dans laquelle François Bayrou les a plongés. A l’issue du discours de politique générale, malgré la consigne claire de non-censure donnée par la direction du PS, ils ont été huit députés à la voter, par proximité politique ou électorale avec LFI, ou parce qu’ils avaient trouvé insuffisantes les concessions accordées par François Bayrou.

Il suffirait cette fois qu’ils soient 23, si le reste de la gauche et le RN décidaient de s’associer en faveur de la censure pour faire tomber le gouvernement Bayrou. Peu probable, l’hypothèse n’est pas impensable. « La non-censure est une autre affaire que la dernière fois », assure un acteur-clé. Même s’ils y parviennent, ce qui demeure le souhait partagé, le risque est une surenchère de revendications pour combler la blessure de la submersion. Le coût de la censure est de 12 milliards d’euros ne cesse de répéter Eric Lombard. Gageons que celui de la non-censure sera lui aussi élevé.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique