« Après »

par Emmanuel Tugny |  publié le 27/10/2024

Novlangue. De Newspeak, George Orwell, « 1984 ». Langage convenu et rigide destiné à dénaturer la réalité.

En un temps au cœur duquel la raison de l’Histoire chère à Hegel semble devenue inatteignable, où elle semble « échapper » à celui qui l’occupe ou l’administre, au décideur ou au patient de sa décision, il n’est pas, au fond, bien étonnant que la langue témoigne d’une incapacité croissante à rendre compte d’un lien entre les événements, entre les faits, entre les phénomènes.

C’est là la cause de la floraison étrange – et irritante au grammairien – de l’adverbe « après » qui paraît se substituer dans la parole quotidienne à l’ancien nuancier subtil des vocables destinés à exprimer l’opposition ou la concession, à « mais », à « toutefois », à « néanmoins », à « pourtant », à « cependant »…

Privé de la capacité de repérer le lien entre les différents objets empiriques qui s’affrontent à son regard, qui se soumettent à son entendement, à son jugement, aveuglé par l’expérience pure, le sujet contemporain se trouve ballotté en un univers des lieux et de leurs « coups » successifs où ce qui advient n’est plus prévisible, envisageable, mais seulement consécutif : ce qui l’attend n’est plus pour lui qu’un avènement, qu’une épiphanie, qu’un moment succédant au présent.

Le sens de la vie lui est devenu opaque ; « après », peut-on lui en tenir rigueur ?


Emmanuel Tugny

Emmanuel Tugny