Art : richesse privée, austérité publique
Tandis que le marché de l’art montre une prospérité insolente, le financement public de la culture – et donc des musées – ne cesse de diminuer. Un rapport avec les failles de la sécurité au Louvre ?
C’est un hasard, mais… Le lendemain du vol incroyable des bijoux de la couronne de France au Louvre s’ouvre à Paris une semaine spectaculaire sur l’art contemporain : le marché de l’art brille de tous ses feux dans la capitale. Ouverture d’Art Basel, successeur de la Fiac, au grand Palais, nouveaux espaces, modern art fair sur la place de la Concorde, ouverture de la Ceramic art fair, nouvelle venue, à la maison de l’Amérique latine, Asia now à la Monnaie de Paris, sans compter les manifestations parisiennes des galeries et maisons de vente autour de l’avenue Matignon, et, last but not least (puis qu’il faut se résigner à parler anglais pour se faire comprendre de cette jet set qui parcourt la planète pour acheter à prix d’or des œuvres modernes et contemporaines), ouverture en grande pompe du nouvel espace dédié à l’art par la maison Cartier qui a abandonné le boulevard Raspail pour l’ancien grand magasin devenu le Louvre des antiquaires, grand édifice situé entre le Palais royal et le musée du Louvre, plus grand et spectaculairement réaménagé par l’architecte Jean Nouvel. Grandiose.
On ne saurait se plaindre que Paris reprenne une place de premier plan sur le marché de l’art, même si l’on est abasourdi par ce que l’on perçoit de cet argent qui coule à flot, non seulement dans les diners, réceptions et autres festivités. Tant mieux si c’est à Paris, et si nous bénéficions de toutes les retombées financières et artistiques qui accompagnent ce déploiement de luxe et de pouvoir. Mais l’on ne peut s’empêcher de mettre ces évènements, qui se produisent dans le même espace-temps, en relation avec un autre phénomène : l’appauvrissement du secteur public culturel, dont les moyens diminuent d’année en année.
Il apparaît déjà que la sécurité du Louvre accusait un retard dénoncé par ses agents, la direction, et la Cour des Comptes. Ici l’argent ne coule pas à flots, même si l’État et les mécènes font beaucoup. Est-il bien employé ? La sécurité des œuvres est-elle la priorité ? Les enquêtes le diront.
Depuis plusieurs années se sont développées des fondations – celles de François Pinault ou de Bernard Arnault notamment – qui offrent dans de nouveaux espaces de magnifiques expositions que les grands musées publics ne pourraient peut-être pas monter. Tant mieux pour le public. Mais si l’on étend notre observation à d’autres secteurs, le constat est partout le même : beaucoup d’argent d’un côté et de l’autre un État qui réduit ses financements dans la culture, aggravé par des collectivités locales qui reculent encore plus, sauf exception, des acteurs culturels qui souffrent, et s’ils ne sont pas sur le devant de la scène sont considérés comme des perpétuels quémandeurs, incapables de rentabiliser leur affaire.
Notre modèle, notre exception culturelle est en train de changer. Déclin public, montée du privé. Faut-il s’en plaindre ? Toute la question est savoir quelles valeurs on défend, sont-ce vraiment les mêmes ? Il peut y avoir des convergences entre service public et intérêts commerciaux, mais pas toujours, ce ne sont pas les mêmes finalités. Ainsi va le monde, dont l’art n’est qu’une vitrine représentative de notre état : de richissimes collectionneurs ou marchands d’un côté, des musées ou institutions publiques paupérisées de l’autre. La culture, oubliée dans tout cela, ce n’est plus un sujet qui intéresse, malheur aux pauvres. Étalage de richesses ou fric frac spectaculaire, voilà qui fait évènement. Les priorités de l’état ? La politique culturelle ? L’équilibre public/privé ? Circulez, Il n’y a rien à voir.



