Au Kivu, la guerre pour un métal

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 30/01/2025

Comment comprendre cette guerre interminable et particulièrement meurtrière qui se déroule à l’Est de la République Démocratique du Congo dans la région du Kivu ? De multiples facteurs opposent les protagonistes. Mais on oublie parfois les enjeux économiques autour des métaux stratégiques comme le tantale.

Un véhicule blindé de la mission de l'ONU pour la stabilisation en RDC, à Nzulo, sur la route principale reliant Goma, la capitale du Nord-Kivu, à la ville de Saké, le 25 janvier 2025. Trois soldats sud-africains ont été tués et 18 autres blessés lors d'affrontements avec les forces du M23. (Photo de Jospin Mwisha / AFP)

Au cœur du conflit, s’illustre le M23, un groupe d’anciens officiers rebelles au gouvernement de la RDC, entrés en sécession depuis 2012 et ayant alors déjà pris Goma avant de se retirer sous la pression de la communauté internationale. Peu actif de 2013 à 2021 du fait de fortes querelles internes dont a profité le Rwanda pour l’instrumentaliser, il a repris l’offensive depuis deux ans, prenant peu à peu le contrôle du Nord-Kivu. 

Sans le soutien logistique et militaire du Rwanda, le M23 n’aurait jamais pu acquérir cette capacité de combat. Les récentes enquêtes de l’ONU l’ont largement démontré. 

Face à eux, on trouve les Forces Armées de la RDC (FARDC), un ensemble hétéroclite, mal équipé et mal entraîné, auquel s’adjoignent les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), un groupe formé notamment d’anciens responsables du génocide des Tutsis il y a trente ans. 

Il faut aussi mentionner une Mission de l’ONU (MONUSCO) et une force régionale créée par la sous-région d’Afrique australe, toutes deux réduites à l’impuissance. Et finalement, une médiation régionale menée par le président angolais, qui tente vainement de rapprocher les deux, sans réelle avancée jusqu’ici. 

Le 23 janvier, le M23 a lancé son offensive décisive vers Goma qu’il occupe depuis quelques jours. Dans ce long conflit s’entremêlent de multiples facteurs, géopolitiques, idéologiques voire raciaux, et territoriaux ; mais on ne peut comprendre les fortes préoccupations et la panique, non seulement des autres États de l’Afrique centrale et australe, mais également d’un grand nombre de chancelleries occidentales, si l’on oublie le versant économique de ce conflit. L’Élysée a même confirmé que le Président français avait multiplié les échanges téléphoniques pour tenter de dénouer la crise.

Car le Kivu est le plus grand réservoir de coltan (50 à 80% des réserves mondiales). Or le coltan, métal composé de colombite et de tantalite, permet d’extraire deux métaux stratégiques, le niobium et surtout le tantale, indispensable notamment pour les condensateurs en électronique et plus généralement pour les industries de haute technologie.

La conquête, ou du moins, la maîtrise de ces gisements est un enjeu géopolitique majeur. Mais derrière ces trafiquants, légaux ou illégaux, il y a tous ceux qui en ont bénéficié et donc des intérêts colossaux. 

Toutes les parties sont concernées par cet « or noir » d’un autre genre. Les généraux des FARDC, comme leurs alliés des FDLR et les missions internationales, s’en sont beaucoup enrichis, et avec eux beaucoup d’autres dirigeants congolais. 

Le M23, lui-même, contrôle un voire plusieurs gisements parmi les plus importants du pays et échange (avec le Rwanda en contrepartie de son soutien) ou revend le métal à diverses sociétés locales ou internationales peu désireuses de faire parler d’elles.

Pour que cesse cette guerre, il faudrait donc arrêter la guerre du tantale et avec elle le supplice de la population du Kivu. La RDC ne paraît guère en position de force pour le faire, à l’heure où le M23 et son allié rwandais maîtrisent le Nord-Kivu. 

En revanche, la communauté internationale peut être d’un grand recours. Si l’on voit mal l’Union Africaine être capable de jouer un tel rôle, ce serait une belle occasion pour les régions concernées, CEAC (Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale) et SADC (Southern African Development Community), de prouver qu’elles sont en mesure de régler un tel conflit dans un esprit de solidarité panafricaine. Sinon, les grandes puissances, aux aguets, entreront officiellement dans la danse. Et l’on doute que ce soit pour le plus grand profit des peuples du Kivu et de la région.

Que des manifestants s’attaquent au même moment à Kinshasa à des ambassades de ces mêmes puissances, États-Unis, France ou Belgique, n’est certainement pas un hasard.

Jean-Paul de Gaudemar

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