Au nom du Père

par Boris Enet |  publié le 16/05/2025

Bien sûr, le droit de croire est un intangible principe garanti par toutes les grandes démocraties du monde. Nulle volonté ici qu’il en soit autrement, y compris pour le discuter, au regard des tragédies subies.

Randonnée du centre d'Ainhoa vers la chapelle Notre Dame de l'aubepine, Ainhoa, le 26 aout 2020. (Photo de Xosé Bouzas / Hans Lucas via AFP)

En France, trois chapelles monothéistes viennent donc de communiquer de concert pour mettre en garde la communauté des Hommes contre un hypothétique projet de loi sur la fin de vie. De Yahvé au Christ en passant par Allah, il n’est toujours pas permis de se soustraire à l’autorité autoproclamée du tout puissant, abrégeant les souffrances des simples mortels.

Le débat éthique est naturellement complexe, mais l’on ne peut s’empêcher la réflexion suivante : chaque fois que les représentations politiques peuvent innover, épris de justice et de progrès, les représentants du culte s’interposent dans une belle unanimité. Que ce soit l’émancipation de la condition féminine, leur droit à maîtriser leur corps, qu’il s’agisse aussi de la lutte aboutissant à la reconnaissance des droits homosexuels, les Églises ne font qu’une.

Lors de l’audition de François Bayrou devant la commission de l’assemblée diligentée sur l’affaire Bétharram, la dimension religieuse de cette institution est passée à la trappe. Si chacun juge aux points le match parfois indécent entre le procureur insoumis et l’actuel Premier ministre, la responsabilité de l’Église dans les innombrables crimes sexuels de ses clercs, laïcs et religieux, fait grand bruit par son absence. Ce sont pourtant des millions de victimes à l’échelle du dernier siècle, proies d’une pédophilie tolérée en dogme, dans le secret du confessionnal.  

C’est toujours en son nom que l’on a massacré le 7 octobre 2023 dans les kibboutz israéliens, commettant l’indicible. C’est au nom de la terre sainte promise que l’on affame en conscience des enfants à Gaza, éradiquant, déplaçant hommes, femmes, enfants et vieillards. C’est au nom du clergé chiite tout puissant que l’on bafoue la dignité des iraniennes, que l’on tue, viole et torture, ne leur permettant pas de découvrir leur chevelure. C’est au nom d’une assignation culturelle et identitaire rétrograde que des jeunes filles ne s’autorisent plus à se poster en terrasse dans certains quartiers populaires, au cœur d’une démocratie laïque.

C’est toujours au nom de Dieu qu’une extrême-droite évangéliste et mercantile met au pas un continent pour des horizons messianistes constamment ajournés depuis 2000 ans. Révisionniste scientifique, elle tend volontiers la main au rabbinat le plus arriéré, justifiant meurtres, expropriations et colonies en Cisjordanie ou soutient celle du clergé orthodoxe roumain, suppôt d’un ancien hooligan xénophobe en lice pour l’emporter à Bucarest.

C’est toujours en son nom que l’on se déchire au Cachemire, entre milices islamistes et fous de Dieu hindouistes, comme pour mieux oublier le plus grand exode du XXe siècle passé sous silence lorsque Gandhi échoua à la constitution d’un État binational et laïque sur les décombres du joyau de la royauté britannique. Ce fut en son nom que les crimes du colonialisme trouvèrent une justification pour asservir peuples et continents, dans une alliance tristement célèbre du sabre et du goupillon.

La litanie est objectivement inépuisable. Dans cette religiosité d’atmosphère, il est plus prudent de plaider pour le respect mutuel des partisans de la foi que d’en interroger la légitimité au regard des ministères sanglants qu’ils commandent. L’athéisme d’État est passé par là au XXe siècle, béquille d’un totalitarisme sordide. On en fit même un Livre noir sous la direction de Stéphane Courtois, lui-même ancien adepte. Dieu y échappe étrangement. Il était pourtant entendu que l’opium était une drogue sédative et analgésique pour les peuples. À moins qu’il y ait eu duperie sur la marchandise.

Boris Enet