Automobile : la fin du rêve français

par Gilles Bridier |  publié le 16/06/2025

La démission du patron de Renault, Luca de Meo, est aussi l’expression d’une désaffection française pour l’industrie automobile.

Le 14 octobre 2024, le président français Emmanuel Macron et Luca De Meo, alors directeur général de Renault, étaient assis dans une voiture exposée au Mondial de l'automobile de Paris, à Paris Expo Porte de Versailles, . (Photo Ludovic MARIN / POOL / AFP)

Il tourne la page après cinq années à redresser le groupe. Certes, la décision d’un seul homme ne saurait traduire la situation de tout un secteur industriel. Mais le départ de Luca de Meo interroge.

Il part après avoir réinventé la R5 en version électrique, couronnée de succès, et lancé de multiples projets qu’il ne mènera pas à leur terme, notamment dans la propulsion électrique à l’origine de la réorganisation du groupe. Il avait su remotiver ses équipes ébranlées par le scandale Carlos Ghosn, il avait la confiance de ses collaborateurs et de ses actionnaires (dont l’état français à hauteur de 15%) et le redressement du groupe doit être porté à son actif. Déficitaire de huit milliards d’euros en 2020, le bénéfice a atteint 890 millions l’an dernier sur un chiffre d’affaires de plus de 52 milliards. Toutefois, le tableau n’est pas si rose.

Mais malgré ces résultats, les ventes mondiales du groupe ont dégringolé à 2,25 millions d’unités, soit seulement 60% du niveau atteint en 2018 et un plancher par rapport aux vingt dernières années. Car l’automobile souffre en France, et Renault en pâtit. L’an dernier, les ventes ont chuté de plus de 3% sur un marché européen en légère progression. Et depuis le début 2025, le recul atteint même 8% dans l’hexagone, avec de plus mauvaises performances encore sur les voitures électriques, rassemblées dans la société ampère, au coeur de la stratégie de Luca de Meo. Après avoir détricoté son accord de partenariat avec Nissan et quitté le marché russe, Renault a perdu la dimension critique pour progresser à l’international.

L’automobile française n’est plus à la hauteur des défis mondiaux. Certes, Peugeot et Citroën dans le groupe Stellantis avec Fiat-Chrysler sont toujours dans la compétition. Mais le groupe présidé par John Elkann, héritier de la famille Agnelli fondatrice de Fiat, est maintenant de nationalité néerlandaise depuis son immatriculation aux Pays-Bas en 2021. Et aux côtés de la famille Agnelli qui détient près de 16% du capital, la famille Peugeot et la banque publique d’investissement Bpifrance ne détiennent ensemble que 14,7%. Un basculement pas anodin. Pour ajouter à la clarté de l’évolution, Stellantis est dirigé depuis début juin par Antonio Filosa, un pur produit Fiat. Et signe des temps, ce nouveau directeur restera basé aux États-Unis où il a effectué une partie de sa carrière et où le groupe réalise 40% de son chiffre d’affaires.

La production des marques qui auréolaient son image a déserté l’hexagone. Le nombre de voitures produites en France par Renault et les marques de feu PSA a baissé de moitié depuis le tournant du siècle tandis que ces constructeurs français poussaient les feux dans le reste du monde. Au total, la part de la production automobile française sur le marché mondial est tombée à 1,6 % en 2023, contre 5,7% en 2000 ! Et dans la balance commerciale, le secteur automobile qui avait toujours été bénéficiaire, est dans le rouge depuis 2008.

Un désastre qui incombe aussi bien aux constructeurs qui ont eu tendance à s’endormir sur leurs lauriers, qu’aux décideurs politiques en France qui n’ont pas su créer les conditions d’un écosystème compétitif, et qu’à la Commission européenne qui réagi à contretemps pour se protéger des importations chinoises fortement subventionnées. La démission de Luca de Meo est peut-être l’expression de ces malaises. Dans un pays qui en fut le berceau, l’automobile n’est plus pourvoyeuse ni d’emploi, ni de valeur, ni de rêve.

Gilles Bridier