Bardella, le faux martyr
Le président du Rassemblement national dénonce la censure dont il serait victime de la part de la SNCF, dont la filiale publicitaire a refusé une campagne de promotion prévue par les éditions Fayard. Mais son réquisitoire ne tient pas…
Un « acte de censure inadmissible », une décision « totalitaire » prise sous la pression de « syndicats d’extrême-gauche ». Les responsables du RN n’ont pas de mots assez durs pour stigmatiser la décision de Médiatransports, la filiale de la SNCF qui vient de refuser d’apposer dans les gares quelque 500 affiches à la gloire du livre de Jordan Bardella.
A priori, la protestation du RN repose sur un argumentaire imparable. Les éditeurs ont le droit de promouvoir leur production, quitte à y consacrer des moyens importants ; deux d’entre eux l’avaient fait pour les ouvrages de Nicolas Sarkozy et François Hollande, dont les campagnes avaient été acceptées par Médiatransports. Alors pourquoi pas celle de Jordan Bardella ? Ce refus est arbitraire, discriminatoire et il n’a été décidé que sous la pression d’adversaires politiques du RN, en l’occurrence la CGT-Cheminots et Sud-Rail, très engagés à gauche. Tel est le raisonnement frontiste, qui a toutes les apparences de la bonne foi.
Encore que… Pour se faire une idée claire, il faut prendre en compte plusieurs éléments. Contrairement à ce que disent certains auxiliaires du RN, tel Cyril Hanouna, histrion du groupe Bolloré, ce n’est pas le livre qui est censuré : il sera disponible, pour le moins, à travers les Relais H, libraires et marchands de journaux présents dans toutes les grandes gares de France. C’est la campagne publicitaire qui a été retoquée et non l’ouvrage lui-même. Nuance.
Il faut ensuite écouter ce qu’en disent les responsables de Médiatransports, qui ont pris la décision contestée. Ils sont soumis, rappellent-ils, à une certaine neutralité politique, qui leur interdit de relayer les messages politiques partisans. Mais alors, dira-t-on, quid de Sarkozy et Hollande, personnages tout aussi politiques ? Voici ce que dit Médiatransports : ces deux livres sont des mémoires assortis de considérations générales et non des supports de programmes ou de campagnes politiques. Les deux hommes sont des anciens présidents et non des chefs de parti en activité comme l’est Bardella. Celui-ci a titré son livre Ce que je cherche, formule qui indique clairement son intention programmatique.
Pour Médiatransports, l’éditeur Fayard, fleuron du groupe Bolloré, a réservé la campagne sans préciser son contenu, ce qui est son droit, mais il savait aussi, à l’avance, que la nature de l’ouvrage, une fois dévoilée, conduirait la régie à refuser la campagne, comme le savent tous les éditeurs, lesquels s’abstiennent de proposer des affiches vantant les mérites d’un programme ou d’un projet partisan.
Il semble donc bien que le groupe Bolloré, conscient de cette jurisprudence commerciale, a proposé cette campagne sachant qu’elle serait refusée, ce qui lui donne l’occasion d’en orchestrer une autre, gratuite celle-là, sur le thème de la censure. L’extrême-droite adore le rôle de victime « du système » et de « la bien-pensance » qui lui permet de poser en martyre de la liberté d’expression. Cette petite affaire Bardella en est une nouvelle illustration.