Barnier aime ses bourreaux

par Laurent Joffrin |  publié le 04/12/2024

Dans son plaidoyer à la fois pathétique et sincère, Michel Barnier a surtout parlé au Rassemblement national, pour le conjurer de l’épargner. Ce sera l’essentiel de son bilan : avoir donné à Marine Le Pen une place centrale dans la vie politique française.

Laurent Joffrin

Il était presque émouvant, le Premier ministre dans son dernier jour, hier sur TF1 et France 2. Menacé d’être éjecté trois mois à peine après son entrée en fonction, le plus court séjour à Matignon de l’histoire de la cinquième : il n’avait pas signé pour cela. Issu de la droite chiraquienne, il avait a tablé sur la neutralité des lepénistes pour bâtir son budget, pariant que Marine Le Pen n’oserait pas le renverser après quelques semaines seulement, sauf à jouer les fauteuses de désordre. Erreur décisive : aiguillonnée par sa base et, surtout, par la sévérité des magistrats, Marine Le Pen a décidé de renverser la table.

Barnier n’a pas voulu y croire. Spéculant sur un malentendu, il s’est mis dans l’humiliante position du quémandeur, cédant sur des points qu’il jugeait pourtant essentiels, cherchant en panique ce qui pourrait bien satisfaire celle qui avait de toutes manières prononcé sa perte. Hier soir encore, avec des accents angoissés, il s’est adressé à ses bourreaux pour arracher quelques minutes supplémentaires de vie gouvernementale. Il a volé à leur secours, pointant les termes agressifs envers le RN employés par la gauche dans sa motion de censure. Il a plaidé avec des trémolos dans la voix pour qu’on marque le plus grand respect envers les 11 millions de Français qui ont voté pour l’extrême-droite, oubliant au passage le respect qu’on doit aussi aux 22 millions d’électeurs qui ont voté pour écarter le RN du pouvoir.

Il a parlé d’honneur. Mais l’honneur consiste aussi à ne pas s’aplatir devant ceux qui ne pensent qu’à vous abattre, à refuser de céder au chantage, à dire non à l’extrême-droite quand on ne partage pas ses idées. C’est la dangereuse situation que vient d’installer la droite soi-disant républicaine : se placer sous la dépendance de Marine Le Pen, lui conférer un brevet de respectabilité gouvernementale en reprenant ses propositions, pour reconnaître in fine, avec éclat, la position de force qu’elle a acquise dans la République.

Michel Barnier voulait écrire une page honorable de la vie politique française, rester comme celui qui avait fait face, dans une situation inextricable, à la crise qui menace le pays. Il a surtout écrit une page dorée… dans l’histoire de l’extrême-droite française.

Laurent Joffrin