Barry Lyndon : les secrets d’un chef-d’œuvre

par Thierry Gandillot |  publié le 12/12/2024

Archives et textes inédits, le livre donne la parole à ceux qui ont participé à cette aventure cinématographique hors-norme. 

Sur le tournage Stanley Kubrick avec Ryan O'Neal. / RnB (Photo Peregrine / Hawk Film / Warner B / Collection ChristopheL via AFP)

Après le scandale et le succès d’Orange mécanique, Stanley Kubrick décide de faire un film en costume, éclairé à la bougie, s’inspirant des tableaux de maîtres anglais. Il jette son dévolu sur une nouvelle peu connue de William Thackeray, Les Mémoires de Barry Lyndon. L’histoire d’un jeune gredin irlandais, Redmond Barry, tête brûlée, joueur, joli cœur, bagarreur et opportuniste, qui après bien des (més)aventures, finit par épouser une riche veuve, Lady Lyndon, tombée folle amoureuse de lui. Ce sera le début de la chute de celui qui se fait désormais appeler Barry Lyndon, tentant de devenir pair du Royaume, mais n’étant jamais accepté par l’aristocratie anglaise, laquelle finira par avoir sa peau.

La Warner avait prévu un budget de 2,5 millions de dollars ; le film en coûtera onze. Il faut dire que Kubrick est un maniaque du détail et qu’il ne renonce à rien. C’est l’histoire de ce tournage épique que raconte le magnifique livre publié par les éditions Simeio. Les informations sur les coulisses du tournage – costumes, décors, musiques … -, sont puisées auprès des meilleures sources, en particulier Jan Harlan, beau-frère et producteur des cinq derniers films de Kubrick.

Les anecdotes abondent. On apprendra ainsi comment le réalisateur a réussi à tourner les scènes d’intérieur à la bougie, ce qui était réputé impossible. Mais impossible n’est pas Kubrick. Il dégote un objectif que seule la Nasa utilise et dont il n’existe que deux exemplaires au monde. Problème : il ne s’adapte à aucune caméra existante. Qu’importe ! Kubrick se souvient d’un as de la bricole à Hollywood qui lui arrange l’affaire. Mais la profondeur de champ est alors très réduite et les acteurs doivent bouger ultra-lentement. Un cauchemar, d’autant plus que les chandelles brûlent si vite qu’il faut sans cesse les changer. Marisa Berenson (sublime Lady Lyndon) en garde un souvenir éprouvé. Mais la chaleur et le grain donné à l’image contribue à la légende du film.

On apprendra aussi comment Kubrick a archivé des milliers de gravures, de dessins et de peintures de l’époque. On compte plus de cinquante boîtes conservées dans les archives. Et Kubrick fait acheter les livres d’art en double afin de pouvoir déchirer les pages, car il déteste les photocopies.

Le seul anachronisme que s’autorise le Maître concerne la musique. L’andante du Trio pour piano et cordes n°2 de Schubert ne fait pas très XVIIIème siècle. Mais ce sera l’un de ses coups de génie, comme l’utilisation de la Sarabande de Haendel dont il fit ralentir le tempo afin qu’il s’accorde aux images.  

À sa sortie, le film est un fiasco, sauf en France, en Espagne, en Italie, au Portugal et au Japon. Il se fait défoncer partout ailleurs, en particulier dans les pays anglo-saxons, et devient le plus gros échec financier du Maître. Aujourd’hui, Barry Lyndon est considéré comme un chef d’œuvre. Ce qu’avaient bien compris Martin Scorsese et Federico Fellini. Scorsese reconnaît la « fascination particulière » que ce film exerce sur lui, en particulier par la lenteur de son tempo. Et pour Fellini, « Barry Lyndon est un film qui nous plonge dans la même émotion que celle que nous pouvons ressentir devant les chefs d’œuvre de l’art et de la littérature. » Paroles d’experts.

Barry Lyndon-Stanley Kubrick, de Jan Harlan, sous la direction de François Betz. Simeio, 172 pages. 59 €.

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture