Bayrou brise le tabou algérien
En menaçant de dénoncer l’accord de 1968 qui facilite l’installation des Algériens en France si Alger persistait à ne pas récupérer ses ressortissants sous le coup d’une OQTF, le Premier ministre amorce un tournant dans la politique migratoire française.

« Il est malin », dit de lui un des meilleurs spécialistes de la Vème République qui le connaît bien. François Bayrou a beau montrer l’air foutraque de celui qui égare ses fiches, n’a pas étudié ses dossiers et convoque une conférence de presse sans l’avoir préparée, il sait taper juste. En lançant à l’Algérie un ultimatum pour que le pays accepte d’accueillir les Algériens qui sont en France sous le coup d’une OQTF non exécutée – seulement 20 000 sur 140 000 l’ont été toutes nationalités confondues l’an dernier – il amorce un tournant que jusqu’ici la France avait refusé d’envisager.
Lors d’un diner mardi soir, François Bayrou convainc Emmanuel Macron qu’après l’affaire de Mulhouse, on ne pouvait pas continuer comme cela. Le coupable algérien était sous le coup d’une OQTF mais il avait été 14 fois refoulé par l’Algérie. « C’est inacceptable » avait lancé Bruno Retailleau dans la journée. Sensible à l’opinion qui le soutient, Bayrou lui emboîte le pas.
Depuis sept ans, soucieux de l’importante population algérienne qui vit en France, Emmanuel Macron avait cherché à réconcilier la France et l’Algérie. Sous la double influence de l’historien Benjamin Stora et de son conseiller Bruno Roger-Petit, il s’était dit « déterminé » à « poursuivre le travail de mémoire, de vérité et de réconciliation » avec l’Algérie sur la colonisation française. Las ! Les dissensions sur le Sahara occidental, où la France soutient le Maroc ; la radicalité du président Tebboune qui ne cesse de rappeler le passé colonial d’une France qui « croyait pouvoir étouffer la révolution du peuple par le fer et le feu » ; l’arrestation puis le maintien en prison de l’écrivain Boualem Sansal ; la dénonciation du prix Goncourt par l’Algérie ont achevé de convaincre les autorités françaises que la stratégie de la conciliation ne menait à rien.
A l’issue d’un comité interministériel sur le contrôle de l’immigration qui réunissait une bonne dizaine de ses ministres, y compris ceux du Travail et de la Santé, François Bayrou a donc lancé l’ultimatum : une liste sera dressée de tous les Algériens sous le coup d’une OQTF que la France cherche à expulser et que l’Algérie refuse d’accueillir sur son territoire en violation des accords internationaux qui veulent qu’un pays récupère tout ressortissant qui doit rentrer chez lui. A l’issue d’une période courte, de quatre à six semaines, si les autorités algériennes persistaient à refuser de reprendre leurs nationaux, la France dénoncerait l’accord qu’elle a passé en 1968 avec l’Algérie, six ans après les accords d’Évian. Celui-ci donnait des facilités aux Algériens soucieux de s’établir en France, dont les autres nationalités ne bénéficient pas, comme celle d’obtenir un titre de séjour en France de dix ans après seulement trois années de présence au lieu de cinq. Cette dénonciation s’accompagnerait de restrictions de visa pour les hauts dignitaires algériens habitués à se déplacer à leur gré entre les deux pays.
Dans un sondage que diffuse BFMTV, les Français applaudissent. Quelque 80% des sympathisants de droite se disent favorables à ce durcissement, mais aussi plus de 50 % des électeurs de gauche… François Bayrou, que l’on pensait flou et mou, a trouvé la riposte qui a les faveurs de l’opinion. Il donne certes, un délai à la diplomatie, ainsi que le réclamait son ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, mais il fixe mine de rien un cap sécuritaire qui a tout pour plaire à son ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Et ceci, en toute cohérence avec Emmanuel Macron, le seul qui a protocolairement le pouvoir de défaire un tel accord international. Voici comment, avec son air de ne pas y toucher, François Bayrou vient de briser le tabou de 60 ans de relations particulières entre la France et l’Algérie.