Bayrou centriste, pas macroniste
En fêtant les cent ans du MRP cette année, jamais François Bayrou n’aurait imaginé qu’il finirait à Matignon en décembre et qu’il serait face au destin qu’il s’est toujours imaginé.

Jusqu’ici, les critiques disaient qu’il était un idéologue sans réalisation, un simple stratège qui avait fait et défait des présidents. Il était même celui qui avait mis en avant des problématiques majeures et en avance sur son temps : la question de la dette, de la souveraineté, la réindustrialisation et même du dépassement droite-gauche. Le « en même temps », c’est Bayrou avant Macron. D’où l’immense colère qu’il a pu se permettre face au président : soit il devenait Premier ministre, soit il quittait l’aventure. Bayrou est un allié dur, expérimenté mais pas un partenaire soumis.
Au-delà de cette personnalité de la vie politique qui parvient, enfin, à ses fins, c’est un courant, le centre, qui tient sa chance historique. Concrètement, c’est la première fois que le centre va remplacer le macronisme. Si l’aventure réussit, le centrisme sera jugé comme crédible dans le paysage politique. S’il échoue, c’est le mythe de Sisyphe, avec Bayrou gravissant la montagne et chutant encore une fois.
Depuis sept ans, Bayrou sait que l’alliance passée avec Macron est centrale, mais pas centriste, puisque le macronisme n’est pas un centrisme. Si le dépassement du clivage gauche-droite faisait partie de la promesse de 2017, le projet ne se situait pas au centre politique, hormis sur le plan européen. C’était surtout un agrégat de personnalités et de ralliements autour de la personne du président.
Le centre, tel que Bayrou le pense et le veut, est une vision de la société qui doit son existence à la réalité du clivage gauche-droite, mais qui a aussi son identité propre : tradition parlementaire, respect du pluralisme, humanisme chrétien, défense de l’idée européenne, libéralisme juridique, politique et économique, souci de la justice sociale.
C’est aussi une façon de gouverner qui repose sur un triptyque fondé sur la confiance en l’humain, la décentralisation, le dialogue permanent et organisé avec les partenaires sociaux. Bref, ce que n’était pas le macronisme, désormais à bout de souffle et qui n’a jamais su combler sa faiblesse initiale : avoir été pensé par et pour un seul homme.
Pour marquer de son empreinte centriste son passage à Matignon, le béarnais doit reléguer le président et s’en émanciper. Gouverner par lui-même en imposant une vraie cohabitation et surtout ouvrir le gouvernement et la majorité, c’est-à-dire ne pas ouvrir les postes qu’à la droite républicaine ou aux macronistes de gauche. Non, il faut franchir le Rubicon et oser nommer des socialistes, écologistes, communistes ou des radicaux.
L’autre façon pour Bayrou de réussir sera de faire des gestes en faveur de la justice sociale. On pense à la réforme des retraites qu’il a lui-même sévèrement critiquée. Jusqu’ici, le macronisme a surtout été pro-business et décalé par rapport aux attentes sociales. Malgré les dires de ses défenseurs, on ne peut pas penser que le débat social et les réformes mises en place aient été progressistes, ou bien 40 millions de Français n’ont rien compris.
Un autre point important auquel Bayrou doit s’atteler est la mise en place du scrutin à la proportionnelle. S’il réussit et modernise le scrutin, il défait les alliances contraintes de certains et garantit la juste représentation de tous les partis et de toutes les tendances politiques. Il doit le faire d’autant plus qu’il sait ce qu’il en coûte d’être marginalisé par un système électoral injuste puisqu’il en a été victime.
François Bayrou est parti de rien : son père décédé quand il avait 16 ans, lui qui reprend la ferme familiale, bègue ayant vaincu son handicap, agrégé, frondeur, rebelle. C’est un béarnais qui peut parler à une population qui ne comprend pas et n’aime pas les technocrates, les hauts-fonctionnaires et tous les politiques au langage flou. Pour la première fois dans le bloc central, l’un d’entre eux peut se connecter avec la France périphérique et moyenne qui ne jure que par Marine Le Pen.
En cas de succès, Bayrou peut faire du centre un pôle politique solide et légitimé par un réel exercice du pouvoir. Il y a longtemps que les français n’ont pas vu au gouvernement quelqu’un qui leur ressemblait, fruit d’une ascension difficile, chaotique mais, finalement, juste. L’antithèse du macronisme.