Bayrou, la dette et la gauche

par Boris Enet |  publié le 17/07/2025

Les réactions pavloviennes aux annonces de François Bayrou obèrent totalement les conséquences calamiteuses du vote d’une éventuelle censure à l’automne. Les populistes des deux rives rejouent la crise sans surprise. C’est leur fonds de commerce. Les gauches démocratiques doivent-elles leur emboîter le pas ?

François Bayrou devant l'Élysée, le 16 juillet 2025. (Photo de Telmo Pinto / NurPhoto via AFP)

La question de la dette relève-t-elle d’un fantasme ou d’une contrainte indépassable ? À plus de 3 300 milliards, son service – le remboursement des intérêts – grève toute possibilité d’investissement innovant en matière sociale ou écologique d’envergure. Les actifs ou chômeurs ont-ils quelque chose à y gagner, eux qui constituent le cœur de cible d’une gauche plurielle et démonétisée ? Qui aurait pu penser que la Grèce se financerait à des taux désormais plus favorables que la seconde économie de l’Union, premier pays en matière d’investissement étranger ?

La France n’est pas la Grèce. La troïka – FMI, exécutif européen, BCE – ne la menace pas, mais la métaphore de la falaise, utilisée par le Premier ministre n’est pas hors de propos. À l’été 2014, la gauche grecque de Syriza, dos au mur devant les exigences de Wolfgang-Schaüble, le grand argentier allemand, et de son complice néerlandais Mark Rutte, ne dut son salut qu’au soutien du Président Hollande et au final de la Chancelière Merkel. Athènes échappa de justesse à la sortie de la zone euro, face aux frugaux et une partie des droites européennes avec le concours involontaire de Varoufakis, ministre grec des finances, stoppé net par Aléxis Tsipras alors chef du gouvernement, dans ses projets dont le retour à la drachme. Syriza accepta finalement la mise sous tutelle garantissant son maintien dans l’Union. La gauche française est confrontée à un choix assez similaire, d’autant qu’avec ses 69 millions d’habitants contre moins de 10 millions de Grecs à l’époque, elle entrainerait dans ce cas toute l’Union dans sa chute.

Bien sûr, la politique de l’offre défendue par Emmanuel Macron, ministre de François Hollande, puis Président, s’est traduite par une baisse des recettes fiscales, de l’impôt des bien-portants économiquement dans des proportions absolument inédites. La Cour des comptes l’a clairement établi. Mais « en même temps », celle-ci a obtenu des résultats en matière de résorption du chômage de masse. La gauche serait dans son rôle d’en convenir et de soulever enfin la question des salaires et de l’ubérisation massive, plutôt que d’adopter une politique de la demande formelle et mécanique, prétendument keynésienne et à l’échelle nationale.

Car c’est l’autre difficulté que personne n’ose pointer à gauche dans un environnement particulièrement explosif et incertain entre le front de l’Est et le front Atlantique. En dehors de Mélenchon et de ceux qu’il inspire, personne ne pourra rejouer mai 1981 ou juin 1936 derrière les frontières de l’hexagone, à moins de précipiter un choc violent en retour et un isolement funeste sur la scène continentale et internationale.

Les termes de l’équation sont connus de tous. Une approche équilibrée est la seule voie possible. La nécessaire réduction de la dépense publique ne se discute pas. Dans le domaine de l’éducation, comment justifier qu’il faille 100 000 fonctionnaires de plus que nos voisins allemands pour un nombre équivalent de jeunes scolarisés ? S’il faut davantage d’enseignants formés et correctement rémunérés, les réformes de structure s’imposent. Il n’en va pas différemment dans d’autres services publics en général. C’est ce que l’on reprochera à François Bayrou : ne pas avoir engagé une réforme concomitante de l’État dans son organisation territoriale notamment pour se rapprocher de celle de nos voisins allemands, Italiens ou espagnols.

Le millefeuille administratif, coûteux en personnel comme en incapacité d’intervention, ne permet plus d’investir, de gérer au mieux le régalien comme les autres domaines de l’action publique. Et puis, même si Paris a la chance dans ces circonstances de voir sa contribution au budget de l’UE réduite dès 2026 de 1,6 milliard, le réarmement comme la transition écologique ne manqueront pas de frapper à la porte. 

Il n’y aura pas de retour sur les 211 milliards de « cadeaux » ou de baisse de la pression fiscale sur les entreprises. Chacun le sait. Pour autant, il ne peut y avoir une politique de désespérance sociale pour faire payer aux seuls salariés un endettement qui n’est plus soutenable et qui n’est pas de leur fait. C’est dans cette fourchette étroite que doit s’ouvrir la négociation, en distinguant les investissements innovants et productifs de la logique de rente, caractérisant encore des secteurs entiers du capitalisme hexagonal. Cela n’exonère en rien de la radiographie des déséquilibres sociétaux – démographique, de genre, de taille des outils de production.

La logique du statu quo serait mortifère à l’approche d’échéances électorales souvent mauvaises conseillères. La gauche doit être la solution, pas le marchepied des bonimenteurs populistes, semeurs d’illusions et de chaos. L’été doit porter conseil pour accepter, enfin, le réel… En vue de le transformer bien sûr.

Boris Enet