Bayrou : la diagonale du flou

par Valérie Lecasble |  publié le 28/01/2025

A quatre jours de la Commission mixte paritaire qui doit élaborer le budget 2025, le Premier ministre a défendu sur LCI un centrisme où il ne veut attaquer personne. Mais à vouloir contenter tout le monde, il risque de ne rien faire.

François Bayrou était l'invité de LCI, ce lundi 27 janvier 2025. (Capture d'écran @TF1)

Il n’a rien d’un homme politique ordinaire et parle davantage comme un prof d’histoire ou un philosophe que comme un Premier ministre. Peut-on lui faire confiance ? Certains, en particulier à gauche, se méfient de son manque de précision. Il aime les généralités vagues, impressionniste, comme si les détails importaient peu. « Je n’y comprends rien », disent de lui certains de ses interlocuteurs.

François Bayrou s’en moque et suit le cours de sa pensée sans trop s’engager, restant dans un flou artistique qui l’a obligé à écrire in extremis une lettre aux présidents des partis politiques pour préciser ses engagements et obtenir des socialistes qu’ils ne votent pas la censure après son discours de politique générale…

François Bayrou ne critique personne, il inclut tout le monde même Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen… Et il manque d’autorité lorsqu’il laisse les sénateurs voter contre son engagement de ne pas supprimer 4 000 postes d’enseignants. Tolérant François Bayrou ? Inconséquent voire inconsistant, répondent ses opposants. Pour l’instant, la méthode lui a plutôt réussi. Suffira-t-elle demain, à donner un cap à une France en crise ? Beaucoup ne le croient pas et le taxent d’immobilisme. Extraits choisis

Il se dit d’emblée convaincu d’avoir accordé des avancées à la gauche : « Chacun doit avoir la certitude qu’il est entendu. On a lancé une concertation avec les syndicats et les représentants des entreprises, ça ne s’était jamais fait. On a augmenté le budget de l’assurance médicale.
Nous n’allons pas supprimer 4000 postes d’enseignants mais encore faut-il qu’il y ait suffisamment de candidats au concours pour devenir enseignants
. »
Et il a aussi, assure-t-il, sanctuarisé la demande de la droite de préserver les budgets régaliens : « l’effort annoncé a été tenu et retenu. Au ministère de la Défense, la loi de programmation sera respectée tout comme à la Justice où nous aurons 1500 magistrats et greffiers de plus. »

L’avenir : « Nous ne pouvons pas baisser les bras. Une fois le budget adopté, nous allons partir à l’assaut de tous les problèmes que nous identifions. »

Le pacte social : « Notre pacte social, qui est le plus généreux du monde n’est pas tenable parce que démographiquement nous sommes devant un problème en France car le nombre d’enfants baisse. Tous les autres pays ont un contrat qui est « chacun pour soi », chacun s’occupe de lui-même et de sa famille. En France, c’est l’inverse, c’est le « tous pour un ».
«
La collectivité organise l’école des enfants, assure contre la maladie et le chômage et garantit la retraite.
La crise démographique menace notre modèle social
. »

La laïcité : « la religion est une affaire de conviction personnelle mais elle ne fait pas la loi. »

Jean-Luc Mélenchon : « il cherche à tout conflictualiser pour favoriser une révolution. Je suis en désaccord radical avec lui mais je ne vais pas l’interdire de la vie politique ».

Marine Le Pen : « Il est très dérangeant que des jugements soient prononcés sans que l’on puisse faire appel. C’est un Parti politique qui fait élire le député européen. Ce n’est pas juste de le condamner ».

L’immigration : « Je pense que les apports étrangers sont positifs pour un peuple, à condition qu’ils ne dépassent pas une proportion. Quand vous avez l’impression d’une submersion… » Entre Bruno Retailleau qui combat l’immigration et Eric Lombard qui dit en avoir besoin, il choisit … « les deux ».
« Il y a des métiers que les Français ne veulent plus faire ».

L’impôt : « nous taxerons les ménages seulement au-delà de 250 000 euros par personne et par an et les grandes entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 milliard pendant une année »

L’argent : « Ce qui me gêne, ce n’est pas la richesse, c’est la pauvreté. L’argent ne peut pas tout diriger. Musk crée une menace sur les démocraties. L’argent ne doit pas donner le droit de diriger les consciences.
L’intelligence artificielle que l’on croyait dominée par les USA, une entreprise chinoise avec 5 millions de dollars et des puces classiques a obtenu des performances plus importantes que Chat GBT. La Chine a 1000 milliards d’excédent commercial. L’intelligence humaine peut aller plus loin que l’IA. Réveillez-vous !
»

Les retraites : « Il faut avoir de plus en plus de gens qui travaillent quand ils sont seniors. Mais il faut qu’ils le choisissent. Pour cela, il faut trouver des incitations. Il n’y a pas assez de gens qui travaillent. Si nous avions un taux d’emploi des seniors comparable à celui des autres pays, il n’y aurait en France pas de problème de retraites. »
« Avec d’autres organisations du travail, des créations d’emplois et de la productivité, on peut arriver à des accords avec plus de départs à la carte. La concertation sociale est unique.
Il ne faut pas reculer. Mais pour l’organisation de cette réforme de 2023, il y a mieux à faire. J’étais favorable à la retraite à points, plus souple, à la carte
. »

La pénibilité : « Il y aura une dérogation pour la pénibilité ; pour les hommes en train d’étaler à la taloche du bitume brûlant.
Ca ne se résume pas à un âge de référence mais au nombre de personnes au travail qui est trop faible
. »

Les 7 heures non-payées : « Le travail doit être payé. Tout travail mérite salaire. Le travail ne doit pas être gratuit. »

L’aide à mourir : « c’est un sujet qui donne un sens à la vie. Je veux ouvrir le débat ».
A propos de son père, décédé dans un accident de voiture quand il avait 20 ans : « Je ne crois pas que les morts soient morts. Je crois que la vie ne s’interrompt pas et je crois que ceux qui sont de l’autre côté continuent d’avoir une relation et influencent notre vie. »
« Mon père aujourd’hui me dirait : « Ton boulot d’homme est de faire ce que tu peux comme j’ai fait ce que j’ai pu « . Notre devoir d’être humain, c’est ça. »

Le fait d’être bègue : « être bègue, c’est dégueulasse. Plus souvent les garçons le sont que les filles. Je portais en moi des torrents de mots. Et ce truc me bloquait la bouche. Cela peut encore m’arriver : l’enfant qu’on a été ne disparaît jamais »

Sa marge de manœuvre : « En 40, la marge de De Gaulle était quoi ? En 54, la marge de Mendès était quoi ? C’est dans ce camp-là que je me range. Dans celui de ceux qui pensent que parce qu’il n’y a rien à faire, il faut le faire ».

Valérie Lecasble

Editorialiste politique