Bayrou : le retour du vieux monde

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 17/12/2024

En privilégiant son conseil municipal de Pau sur toute autre obligation, le Premier ministre envoie un message d’un autre âge, s’exposant à un flot de critiques.

Le nouveau Premier ministre et maire de Pau François Bayrou devant un tableau représentant le roi de France Henri IV alors qu'il assiste au conseil municipal de la mairie de Pau, le 16 décembre 2024. (Photo de Gaizka IROZ / AFP)

Il s’attendait à grimper l’Himalaya, il doit gérer un tsunami. La catastrophe de Mayotte balaie toutes les autres priorités du moment, plaçant François Bayrou en porte à faux. Occupé à installer sa nouvelle autorité à Matignon, à consulter les représentants de l’Assemblée, à préparer le prochain gouvernement, il a trouvé le temps de présider son conseil municipal de Pau mais pas d’assister à Paris à la réunion de crise Place Beauvau ni envisager de se rendre lui-même dans l’île dévastée. Les condamnations pleuvent.

L’élu des Pyrénées atlantiques fait partie de la vieille école, « old school », qui déteste se faire imposer son tempo par les impératifs médiatiques et la dictature des codes parisiens. Il aime prendre son temps, cultiver ses racines, parler lentement, s’inscrire dans le temps long. La modernité implique un rythme pétaradant, l’adaptation incessante à l’actualité « chaude » comme on dit, l’apparence plus que la réalité. Ce n’est pas son genre.

Cet ancien prof de lettres ne voyait pas le problème qui lui a éclaté au visage : sa présence à Pau a même été critiquée par des membres de son propre conseil municipal. Assis sous le grand portrait de Henri IV, son modèle de roi réconciliateur, le Béarnais a fait voter 25000 euros de subventions à Mayotte et demandé une minute de silence. Puis il a fait le procès de la coupure entre les élites et le terrain, allant jusqu’à proposer le retour au cumul des mandats comme remède.

Une mesure impopulaire : les citoyens plébiscitent le non-cumul, voyant dans la multiplication des tâches l’addition des rémunérations davantage que la présence à leur côté de leur élu. Mais François -le-têtu préfère affirmer sa conviction, avec le double risque d’être incompris et de se faire accuser de plaidoyer pro domo puisqu’il affirme vouloir rester maire de Pau. Même si le sujet mérite débat, le « timing », comme on dit dans le monde moderne, n’est pas le bon.

Sera-t-il plus heureux dans son concours d’image avec Emmanuel Macron ? Le chef de l’Etat a bondi sur l’occasion d’annoncer sa venue à Mayotte, lui, le Président de la « start-up nation », mobile, réactif et empathique, pas mécontent de marquer un point contre son premier ministre (trop ?) rebelle. Ce dernier ne lui obéit en rien : il reçoit les forces politiques une par une, RN en tête ! Le contraire de la consigne élyséenne. Et il nomme un directeur de cabinet, Nicolas Pernot, complètement à sa main, bon connaisseur du terrain, sans le moindre lien avec l’équipe présidentielle.

François Bayrou aura-t-il raison de la meute qui s’abat sur lui ? Son style à l’ancienne, sa pratique ancrée dans le terroir, ses réflexes de paysan madré, sa manière d’envoyer tout le monde balader toucheront-ils la France profonde ? N’en faire qu’à sa tête, être persuadé d’avoir raison seul contre tous, à la limite du « bon plaisir », est une attitude à double tranchant en termes d’opinion. Les sondages trancheront vite. En attendant, il ferait bien de se garder de tomber dans un travers qui touche la plupart des dirigeants, quelle que soit l’époque : le risque de l’ubris…

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse