Bayrou peut-il y arriver ?
« J’ai un plan » répète, énigmatique, le Premier ministre à ses interlocuteurs. Sur un siège éjectable, ses trente-cinq ministres ont deux mois pour faire adopter le budget 2025. Mission kamikaze où ils devront composer avec les exigences des partis politiques.
« Les Français ne veulent pas que l’on poursuive cette période d’instabilité ». La doxa édictée par François Bayrou et relayée par sa porte-parole qui trace un « chemin possible au travers des concertations qui se sont engagées », a-t-elle une chance d’aboutir ? Ou bien va-t-elle se fracasser sur les réalités politiques ?
On a évoqué dans LeJournal.info le scénario noir dont rêve Jean-Luc Mélenchon et que souhaite à présent Marine Le Pen, celui d’une impossible majorité à l’Assemblée Nationale où le gouvernement « ne passerait pas l’hiver », renversé à la suite d’une motion de censure déposée par LFI. La crise politique devenant crise de régime, Emmanuel Macron serait, d’un échec à l’autre, contraint de démissionner, ouvrant alors une voie royale à l’élection de Marine Le Pen à la présidentielle.
On a espéré le scénario rose où François Bayrou accepte la « suspension » de la réforme des retraites et convoque une grande conférence sociale et de financement pour compenser les efforts nécessaires au redressement du pays. La seule façon pour lui de décrocher le fameux « accord de non-censure » pour s’émanciper de la férule du Rassemblement National. Or, en cette rentrée, marquée vendredi 3 janvier par un premier conseil des ministres, on se demande si la troisième hypothèse n’est pas la plus probable : sous François Bayrou Premier ministre, il ne se passera rien ou pas grand-chose et son gouvernement sera corseté par la somme des contraintes. Fin limier de la politique, le Premier ministre pourrait être tenté de gouverner à vue en réduisant le champ de ses ambitions au plus petit dénominateur commun, histoire de ne froisser personne.
Lors de son déjeuner jeudi avec Emmanuel Macron, puis du petit-déjeuner vendredi offert par Bruno Retailleau Place Beauvau, et dans la foulée du conseil des ministres puis du conseil de Défense consacré à Mayotte, il a montré les cartes postales où il est à la tâche avec ses ministres. Le projet de loi d’urgence pour Mayotte reporté à la semaine prochaine, il peine toutefois à fixer un cap et se contente d’une méthode qui repose sur la co-construction et la consultation de tous les partenaires politiques et institutionnels.
Deux urgences sont sur la table. Pour Mayotte, Manuel Valls a demandé un délai afin de vérifier auprès de ses interlocuteurs locaux que les décisions envisagées soient bien en ligne avec les attentes. Pour le budget, Eric Lombard flanqué d’Amélie de Montchalin à Bercy, recevra à partir de lundi toutes les forces politiques qui le souhaitent afin de négocier un budget qui ne soit pas censuré.
Un air de déjà-vu avec une méthode qui rappelle celle de Michel Barnier ? Sauf que cette fois, l’objectif est d’éviter les sujets qui fâchent. Ainsi, les chiffres qui circulent sont aussitôt démentis. Des indiscrétions laissent pointer une croissance limitée à 0,8%, et des ambitions revues à la baisse avec un déficit de 5,4% en 2025 qui font croire à une hausse des impôts moins violente et à des économies dans les dépenses moins drastiques que celles de Barnier. « Le déficit sera le résultat des concertations », rectifie la porte-parole du gouvernement.
Le temps est compté : la France ne pourra pas se contenter de vivre au-delà de fin février avec les mêmes crédits que ceux déjà votés en 2024 selon la « loi spéciale ». L’urgence de faire passer un budget pour 2025 devrait éviter les débats interminables à l’Assemblée Nationale qui s’étaient transformés sous Barnier en foire à la surenchère. La copie sera celle du gouvernement Attal remaniée par Barnier et finalisée à la sauce Bayrou. Déjà transmis au Sénat, le projet devrait passer par la case commission paritaire avant d’être présenté pour sa lecture finale devant les députés. Une procédure accélérée destinée à éviter de s’embourber….
La voie est étroite pour échapper à la censure. L’atout Eric Lombard, issu de la gauche, proche d’Olivier Faure et familier de Bercy, sera décisif pour espérer obtenir la neutralité bienveillante des socialistes et faire mentir les sombres prédictions de Jean-Luc Mélenchon.
Mais suffira-t-il face à aux exigences politiques d’une gauche campée sur sa dangereuse exigence de suspension de la réforme des retraites ; d’Emmanuel Macron qui cherche à reprendre la main via le référendum ; ou de Gérald Darmanin, ex-ministre de l’Intérieur devenu ministre de la Justice qui vole la vedette à son collègue Bruno Retailleau en voulant isoler dans les prisons les narcotrafiquants de toute communication avec l’extérieur.
Quand la crise gagne, la rationalité recule et l’ambition personnelle d’une élection l’emporte sur l’intérêt général. « C’est dans la tempête que chacun doit prendre ses responsabilités et faire le choix du dépassement plutôt que de l’obstruction », dit Bayrou. A voir si le vœu du gouvernement en cette rentrée sera ou non entendu….