Bétharram, le passé qui ne passe pas

par Boris Enet |  publié le 15/04/2025

La commission d’enquête parlementaire sur le contrôle des établissements par l’État et la prévention des violences réalise un travail factuel dont les conclusions sont implacables. À différentes échelles, l’omerta était la règle.

Dessin. de Bendak

Quel que soit le jugement sur la personnalité de Paul Vannier, député insoumis du Val de Marne et corapporteur de la Commission aux cotés de Violette Spillebout, député Ensemble du Nord, la réalité du travail accompli par la commission ne laisse personne indifférent. Plus de 70 auditions et 10 contrôles effectués pour une conclusion partagée : la « défaillance globale du contrôle de l’État » dans les établissements privés et une « omerta des notables » qui n’a malheureusement pas pris fin avec le siècle dernier.

Avec près de 200 plaintes devant le parquet de Pau et au moins une nouvelle agression sexuelle à « Beau rameau » – ripolinage pour faire oublier Notre-Dame-de-Bétharram – depuis 2024, les habitudes ont perduré bien au-delà du Béarn et d’un territoire labouré par l’ancien ministre de l’Éducation nationale au moment des crimes commis. Les deux députés ont d’ailleurs reçu des témoignages individuels issus de 16 départements, jugés suffisamment accablants pour déclencher dix articles 40 du code de procédure pénale. Voilà pour les faits. Mais comment en est-on arrivé là ?

Personne ne tombe du ciel dans les milieux de l’enseignement confessionnel catholique. La réputation locale de violences, physiques et sexuelles, était suffisamment répandue pour être divulguée dans un milieu où le silence était le premier des commandements. C’est indirectement le procès des milieux catholiques et du puissant SGEC (Secrétaire général de l’Enseignement Catholique), dont l’élection échoie à la conférence des évêques de France, mais c’est aussi, par ricochet, celui de l’impuissance publique, évoquée le 11 avril dans nos colonnes

Par commodité ou lâcheté, l’absence de contrôle et d’inspection a été la règle trente ans durant à Bétharram, non seulement sur le plan de la sécurité des enfants confiés, mais également des programmes enseignés, des finances et de l’administration. Un scandale d’État qui ne dit pas son nom, sur fond de frilosité à l’idée de rallumer la « guerre scolaire » ou de froisser la couverture douillette de tel ou tel notable local.

Allons même plus loin : les bruits parfois les plus abominables n’épargnaient pas les aumôneries des établissements publics, en un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas forcément connaître.

Sans se prononcer à cette heure sur les conséquences politiques de cette affaire décidément embarrassante pour l’équipe gouvernementale actuelle, notons que les témoignages de l’ancien gendarme auditionné en charge de l’affaire en 1998, comme de l’ancien procureur général, sont contradictoires avec la défense adoptée par l’ancien parent d’élève, époux d’une enseignante de catéchisme, François Bayrou.

L’audition du 14 mai, devant ladite commission, nécessitera une oreille attentive – d’autant qu’elle s’effectue sous serment. Mais au-delà de la culpabilité de tel ou tel, embarras, silence passif ou éventuelle omission à l’insu de son plein gré, c’est une réaction sociale qu’attendent les victimes abusées et un changement de paradigme que l’on doit aux quelques 2 millions d’enfants scolarisés sous contrat aujourd’hui. Bien sûr, les crimes sexuels et les maltraitances à l’égard des enfants ne sont pas l’apanage de la puissante institution catholique. Pendant longtemps, l’école publique, les centres aérés, les associations et fédérations sportives, l’Aide Sociale à l’Enfance, ont accueilli en leur sein des prédateurs parfois « tolérés » au nom d’une solidarité de corps dévoyée autorisant l’abjection. C’est vrai. Mais aucune institution ne l’a érigé en un système de crimes de masse à une échelle aussi vaste que l’Église.

Si aujourd’hui, un « Me too » scolaire se lève, 36 ans après l’adoption de la convention internationale des Droits de l’Enfant, il est inconcevable que l’État ne passe pas la vitesse supérieure jusqu’à aller à la rupture du contrat d’association avec ce type d’établissements en cas de refus – explicite ou implicite – à se conformer à la règle commune, subventionnés sur des deniers publics. L’enquête administrative est enfin diligentée. Le 24 avril prochain, la fille aînée du premier ministre, Hélène, ancienne élève, témoignera dans un ouvrage attendu, trois semaines avant l’audition de son père. Cette douloureuse séquence est loin d’être terminée.

Boris Enet