Betharram : l’ombre de Michel Camdessus
Tandis que l’enquête se focalise sur la rencontre entre François Bayrou et le juge Mirande en charge de l’instruction de l’affaire Carricart, l’interview de sa fille Hélène Perlant décrit l’ambiance de cette époque où apparaît la figure de l’ex-directeur général du FMI.
Sous la férule de son président LFI Paul Vannier, les révélations se succèdent dans l’enquête menée à l’Assemblée Nationale sur l’affaire Betharram. Dernier rebondissement, la longue interview donnée à Mediapart par Hélène Perlant, la fille aînée de François Bayrou. On y apprend que son père a rencontré le juge d’instruction Mirande lors de l’affaire Carricart, du nom de l’ancien directeur mis en cause pour viol au sein de l’établissement catholique. « C’est un secret, il ne faut pas violer le secret de l’instruction », aurait lancé le père à sa fille. Le 14 mai, François Bayrou qui avait jusqu’à présent nié être au courant de toute exaction à Betharram répondra pour sa défense devant la Commission d’enquête parlementaire. Il s’y prépare activement.
Mais avant cela là, c’est l’ambiance d’une époque qui filtre au travers de l’interview d’Hélène Perlant. Une époque, avant le mouvement #MeToo où régnait l’omerta, comme le décrit le livre de témoignages « Le silence de Bétharram ». Plus on était victime et moins on parlait. Personne n’osait alors dévoiler ni les gifles reçues ni les attouchements subis qui étaient monnaie courante et ne devaient pas être dévoilés. « Mes parents ne savaient pas, aucun des parents d’élèves n’étaient au courant », répète en boucle Hélène Perlant tout au long de son interview où elle laisse aussi filtrer quelques pressions dont son père aurait été l’objet.
Maire de Pau, président de conseil général, député puis ministre, François Bayrou évoluait déjà au sein des élites françaises. Parmi elles, quelques figures de renom, dont celle de Michel Camdessus qu’Hélène Perlant cite à plusieurs reprises comme ayant eu une influence sur son père. À écouter, la fille de François Bayrou, on comprend entre les phrases que Camdessus fait partie de ceux qui ont plaidé la cause de l’institution catholique auprès du maire de Pau.
Michel Camdessus ? « L’une des personnalités les plus remarquables que j’ai rencontrées tout au long de ma longue carrière » détaille un économiste. Un élément qui pourrait paraître subalterne mais qui donne au contraire toute sa dimension au sujet. Car Michel Camdessus n’est pas n’importe qui. Directeur du Trésor, puis Gouverneur de la Banque de France dans les années 1980 avant de prendre de 1987 à l’an 2000, la tête du puissant Fonds Monétaire International (FMI), il met sa carrière au service de ses convictions. Ainsi, aide-t-il à réformer les pays pauvres pour qu’ils deviennent des pays dits « émergents » grâce à leur croissance et à la mise en place d’un circuit de distribution d’eau potable qui réduit le taux de mortalité. Bref, si le nom de Michel Camdessus, 92 ans ce 1er mai, n’est pas familier aux jeunes générations, il demeure pour les plus anciens une sommité qui a imprimé sa marque sur l’ordre international, comme lorsqu’il a convaincu, avec d’autres, François Mitterrand de maintenir la France dans le Système Monétaire Européen (SME).
Quel rapport avec Bayrou et Betharram ? Michel Camdessus n’a pas seulement fait ses humanités au collège de Betharram, il est catholique pratiquant, conférencier aux Conférence de Carême à la Cathédrale Notre-Dame de Paris, membre du Conseil Pontifical Justice et Paix qui promeut la fonction sociale de l’Église, puis membre du comité de parrainage du collège des Bernardins. En 2007, il soutient la candidature de François Bayrou à l’élection présidentielle. Dès lors il était bien placé pour influer sur l’attitude de son ami député et ministre…
Voilà qui éclaire l’approche de cette époque. Que valent alors quelques mauvaises rumeurs en face de l’imprimatur donnée à Bétharram par un homme aussi remarquable ? Le 14 mai à 17 h, devant les parlementaires, François Bayrou devra se montrer convaincant. Car 2025 n’est plus 1998. Et s’il veut éteindre la campagne conjointe menée contre lui par LFI et Médiapart, il devra se disculper avec les mots d’aujourd’hui.