Bétharram ou l’omerta sociétale
La rédaction de Mediapart feuilletonne jour après jour pour avoir la peau d’un Premier ministre. La configuration politique de l’instant autorise le site à l’espérer, mais le vrai procès est ailleurs.

Aucun d’entre nous n’est procureur, juge d’instruction ou officier de police judiciaire. Chacun jugera la défense de François Bayrou. Chaque fois ou presque que les agressions sexuelles touchent l’Église, se mêlent la notabilité locale et une justice dont la promptitude n’est pas la qualité première. Mais le volet judiciaire est en passe de s’effacer devant la crise politique. Avant même d’en connaître les tenants et aboutissants, les députés insoumis réclamaient la tête de Matignon comme une ultime session de rattrapage sur le calendrier planifié et avorté de leur chef. La France a-t-elle besoin d’une énième crise gouvernementale dans la dramatique situation européenne et internationale ? Évidemment, non. Cela n’empêche nullement un regard lucide et transgressif sur cette énième barbarie.
Tous les pays européens sans exception, Cameroun, Argentine, Canada, Chili, Équateur, Mexique, Pérou, Norvège, Australie, Nouvelle-Zélande, Timor, Philippines jusqu’au Vatican naturellement, pas un État n’a été épargné par les crimes sexuels commis au sein de l’Église et des institutions dont elle a la charge.
En France, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, estime à plus de 3 000 les pédocriminels depuis 1950 et à près de 216 000 victimes majeures, vivantes au moment de ce rapport. La Commission précise que c’est un étiage bas, auquel il faut ajouter les agresseurs laïcs, pour aboutir à 115 000 victimes supplémentaires. Voilà les faits, glaçants.
L’Église commet un crime contre l’humanité qui ne dit pas son nom de manière universelle et cela depuis près de … 2000 ans. Les premiers cas révélés remontent au IVème siècle mais on ne compte plus les faits rapportés jusqu’aux plus illustres personnages. En 1749, le roi de Prusse, Frédéric publiait même un poème sur sa jeunesse au collège d’Ignace, relatant son viol répété par ses professeurs jésuites.
La parole se libère tardivement en même temps que le changement des mentalités. L’adoption de la convention internationale des droits de l’enfants en 1989 y contribue. Pourtant, on préfère bien souvent la parole de Monsieur le curé à celle de sa propre progéniture. Qui sait d’ailleurs ce qui pourrait advenir dans l’au-delà ? Face à ces tardifs dénis familiaux et collectifs, l’attitude de la curie romaine a rarement varié au moins jusqu’au cardinal Ratzinger puis au pape François. Elle a toujours consisté à défendre la Sainte Église et ses crimes, plutôt que les milliers, les millions de victimes.
Le 6 octobre 2021, au sein même du Vatican, deux prêtres accusés de pédophilie, étaient acquittés, prétextant l’insuffisance de preuves et les délais de prescription. Elle n’a pas agi différemment lorsqu’il s’est agi de l’abbé Pierre.
En réalité, l’omerta a été largement répandue dans le pays de la fille aînée de l’Église. Pour le profane aux convictions athées qui tient le clavier, il ne s’agit pas de partir en croisade, Dieu m’en garde… En revanche, que les plus de 50 ans fassent un effort de mémoire. Même pour ceux qui ont eu la chance de côtoyer les lycées publics, la seule présence d’une aumônerie alimentait des bruits suffisamment problématiques pour mettre à l’écart l’homme en soutane. Des cas légions sans être la norme. On peut donc légitimement questionner la réactivité du ministre de l’éducation de l’époque, mais on doit surtout s’interroger sur les deniers publics abreuvant nombre d’établissements privés d’éducation sous contrat, dont les préceptes et les méthodes jouent à cache-cache avec la République.
L’omerta ne s’est malheureusement pas arrêtée au Béarn. A l’image de son prosélytisme revendiqué, l’Église a répandu ses crimes aux quatre coins du pays, bénéficiant d’une vaste complicité, dépassant la seule hiérarchie ecclésiastique. Plutôt que d’organiser la chasse aux sorcières contre l’homme de Matignon, mieux vaudrait établir, une bonne fois pour toute, le diagnostic, s’occuper de ces vies adultes brisées et demander des comptes à une institution qui revendique encore, sans rire, le vœu de chasteté et le célibat des prêtres. Amen.