Bien diviser pour mal régner
Par ses atermoiements et ses esquives, le président exacerbe les tensions politiques et creuse les divisons dans le pays.
On s’en souvient : la dissolution devait « clarifier » le jeu politique ; la séquence olympique a révélé un désir d’apaisement et d’unité dans l’opinion. Or depuis bientôt deux mois, Emmanuel Macron organise tout le contraire : la confusion et le conflit.
La confusion ? Constatant l’absence de toute majorité à l’Assemblée – sinon relative – le président avait le devoir d’engager aussitôt un processus clair et inattaquable : consulter le plus vite possible les partis pour leur demander de constituer une majorité de coalition ; à cette fin, comme il est de coutume dans les autres pays d’Europe placés dans la même situation, il aurait pu nommer une sorte de médiateur ou, à tout le moins, proposer des réunions destinées à rapprocher les points de vue. Il a préféré éluder, puis s’abriter derrière les Jeux Olympiques pour ajourner toute décision, laissant la classe politique dans l’incertitude et l’opinion dans le brouillard.
Apaisement ? Ce mal étant fait, aidé il est vrai par Jean-Luc Mélenchon qui a commencé par torpiller tout compromis par sa déclaration initiale – « tout le programme, rien que le programme » – Emmanuel Macron a fini par recevoir, six semaines après l’élection, la prétendante au poste de Première ministre désignée par le Nouveau Front Populaire, arrivé en tête du scrutin. On admettra que le délai était particulièrement long…
D’autant qu’il s’agissait d’un faux suspense : tout le monde savait depuis le début qu’il ferait tout pour empêcher l’arrivée de la gauche au pouvoir. Tant qu’à faire, n’eût-il pas mieux valu le dire dès le départ ? Clarification, disait-il… Au lieu de cela, après avoir mimé l’ouverture, il s’appuie sur les menaces de censure proférées par les autres partis pour renvoyer Lucie Castets dans ses buts. Pourtant, quoique tout aussi tardivement, la gauche avait fini par admettre la nécessité des compromis et Jean-Luc Mélenchon ouvert la possibilité d’un gouvernement sans LFI. C’est à bon droit, désormais, que le NFP proteste devant une éviction décidée par le prince.
N’eût-il pas mieux valu, comme il est aussi de coutume dans les régimes parlementaires, nommer Lucie Castets et laisser l’Assemblée décider par elle-même, c’est-à-dire censurer, le cas échéant, une Première ministre dont elle ne voulait pas ? Dans ce cas, les autres partis auraient dû assumer leur position devant l’opinion et Macron serait resté dans son rôle d’arbitre. Constatant la censure, si elle avait eu lieu, il aurait été fondé à trouver autre chose.
Mais les habitudes de la monarchie républicaine perdurent : c’est le président qui récuse une coalition pourtant placée en tête, et non le Parlement, pourtant seul souverain, in fine, même dans la Vème République. Comment rendre un meilleur service à LFI ? Elle peut lancer, sans obstacles désormais, sa campagne de blocage des institutions et de destitution du président, obligeant les socialistes à la suivre, ou bien à s’en désolidariser, au risque de jouer le rôle du défecteur ? Il est vrai que l’abaissement systématique du PS fait partie des objectifs stratégiques communs à Macron et Mélenchon…
Tout cela nous mène à une situation lourde de conflits futurs : on va probablement nommer, selon le bon plaisir du monarque, une personnalité qui s’appuiera sur les centristes, c’est-à-dire sur les perdants de l’élection, avec le soutien sans participation de la droite, c’est-à-dire du plus petit parti de l’Assemblée. Le futur gouvernement, s’il voit enfin le jour, reposera sur la base parlementaire la plus étroite et la moins légitime possible et subira, inévitablement, les feux roulants des campagnes de oppositions, tout occupées à préparer les futurs affrontements, législatif ou présidentiel. Clarification, apaisement ? La réussite est totale.