Brusca, tueur en liberté

par Marcelle Padovani |  publié le 16/06/2025

Principal sicaire de Toto Riina, parrain de Cosa Nostra, Giovanni Brusca, auteur de 150 meurtres, a été remis en liberté. Cette décision fait scandale en Italie. Elle était pourtant logique…

Portrait de Giovanni Falcone, juge antimafia (1939 - 1992), dans les années 1980 (Photo Marco Lanni / Leemage via AFP)

On l’avait surnommé « U verru », « le cochon ». Il avait 150 homicides sur la conscience, dont celui du juge Giovanni Falcone, le 23 mai 1992. Or Giovanni Brusca, mafioso sicilien, a été remis en liberté le 5 juin dernier après 25 ans de détention.

Commencée à l’âge de 13 ans, sa carrière a été fulgurante dans la Cosa Nostra de la Sicile profonde. Efficace, courageux, impitoyable, il avait tous les atouts pour devenir l’homme de main du « parrain » Toto Riina et l’exécuteur numéro un de ses projets criminels. Mème si son pedigree de killer s’était enrichi entre temps d’une grande capacité de lecture et d’une curiosité sans bornes, agrémentée d’une riche vie familiale avec sa compagne et leur rejeton, qui a maintenant 36 ans .

Une photo le croque le jour de son arrestation : les policiers de Palerme l’ont coincé sous un cliché évocateur, celui des magistrats Falcone et Borsellino, les plus célèbres victimes de la mafia. On y voit un paysan robuste et déterminé, délivré de toute angoisse apparente, qui fait comprendre qu’il saura comment gérer la situation. Ce qu’il a fait, réussissant ce chef d’oeuvre de se retrouver en liberté à 68 ans, le 5 juin 2025 et se mettant aussitôt en quête d’un boulot, si l’on en croit son avocat. Ce qui a suscité quelques réactions indignées dans les médias : « Quel bel exemple pour les détenus ! S’ils commettent et revendiquent 150 assassinats, ils décrocheront la liberté ! » Protestations vite écartées par les magistrats, tels le procureur sicilien Pietro Grasso, qui a mis le holà : « Soyons froids. Cet homme a seulement bénéficié de la loi ».

Il s’agit en l’espèce de la fameuse « loi sur les repentis », qui remonte à 1991 et qui a été décisive dans la lutte contre la mafia. Le mafioso Brusca en est seulement la plus éclatante des illustrations. Condamné d’abord à 27 ans de prison, puis à 30 autres, il avait décidé le 23 Mai 1996 de se mettre à table pour bénéficier des avantages de cette législation qui prévoit d’importantes diminutions de peines en échange d’informations décisives pour la capture des « latitanti », autrement dit les mafiosi en fuite. Choisissant cette option, Brusca est devenu le principal artisan du démantèlement de Cosa nostra. Il a eu la bonne idée d’entamer en même temps une révision critique de son parcours personnel, relisant son passé, se convertissant à la religion catholique et demandant officiellement pardon à « toutes les victimes de la mafia ».

Certains dénoncent « le paradoxe incroyable d’un criminel légalement remis en liberté après la mort de sa victime ». Avec cette question à la clé, selon eux décisive : « Qu’en penserait le pauvre Giovanni Falcone ? » Eh bien, la réponse est simple : c’est ce « pauvre Falcone » qui a voulu, défendu et rigoureusement respecté la « loi sur les repentis ». Et qui l’appliquerait donc aujourd’hui exactement comme il l’avait appliquée hier .

Marcelle Padovani

Correspondante à Rome