Cabane : le roman de la décroissance
Abel Quentin, auteur talentueux du Roman d’Étampes, transforme le prophétique rapport du Club de Rome sur l’épuisement des ressources en thriller politico-écologique.
En 1972, une bombe explose : le rapport Meadows. Commandé à l’économiste Jay Forrester du M.I.T, par le Club de Rome – un groupe informel d’industriels et de hauts-fonctionnaires – il est sous-titré « Les limites de la croissance ». Traduit en près de quarante langues et vendu à douze millions d’exemplaires, il fait grand bruit.
S’appuyant sur la dynamique des systèmes de Forrester et bénéficiant des ordinateurs dernier cri fournis par IBM, le rapport Meadows sonne le tocsin. Si rien n’est fait pour contenir la folle envolée du système productiviste et l’explosion démographique, les ressources naturelles s’épuiseront tandis que l’équilibre écologique de la planète sera détruit. Les chercheurs du MIT fixent même une date pour le Grand Effondrement : 2030.
Au milieu des années 1970, le cri d’alarme lancé par le Club de Rome avait été entendu ; mais les politiques, abreuvés de contre-expertises obligeamment fournies par les lobbys énergétiques, n’ont pas pris les décisions drastiques qui s’imposaient. En France, René Dumont, Brice Lalonde ou le PSU, se sont certes emparés de l’étendard de la croissance zéro, mais sans susciter grand-chose d’autre qu’une écoute flottante de l’opinion publique. Aujourd’hui, l’écologie est un thème dominant. Pour autant, les mesures déployées pour enrayer la catastrophe annoncée restent homéopathiques. Pour citer Jacques Chirac : « La maison brûle, et nous regardons ailleurs ».
Le romancier (et avocat) Abel Quentin, bientôt quarante ans, n’était pas né au moment de la publication du rapport Meadows. Cela n’empêche pas l’auteur talentueux du « Voyant d’Étampes » de plonger dans cette saga à travers le destin des quatre hérauts qui, bien avant tout le monde, ont sonné l’alarme. Ces quatre personnages ont existé (les époux Dennis et Donella Meadows, Jørgen Randers, William Behrens III), mais Abel Quentin leur offre une existence hautement romanesque pleine de péripéties et de rebondissements. S’affranchissant de la réalité, il suit le parcours divergent, voire antagoniste des Quatre de l’Apocalypse. En fait, selon Quentin, les lendemains du succès se révéleront douloureux, comme une mauvaise gueule de bois.
Jouissant de leur notoriété nouvelle, les époux Mildred et Eugene Dundee se font les VRP de la cause, sillonnent le monde entier, partout applaudis. Ils paraderont sur les estrades jusqu ‘à ce que l’intérêt s’évapore comme une vulgaire bulle financière. Les auditoires se réduisent comme peau de chagrin et les Dundee s’enterrent alors dans l’Utah pour élever des porcs de manière écologique, voire humaniste.
Le Français Paul Quérillot, lui, décide de surfer sur la vogue de la dynamique des systèmes pour faire de la « big money ». Cynique, il passe à l’ennemi avec armes et bagages, n’hésitant pas à se mettre au service de l’industrie pétrolière friande de ses modèles. Quant à Johannes Gudsonn, le quatrième larron, génie norvégien des mathématiques, il disparaît de la circulation – on dit qu’il est devenu fou, mystique ou complotiste. Ce qui est peut-être vrai. En tout cas, il fascine Abel Quentin au point de consacrer une bonne moitié du roman à retrouver sa trace. « Cabane » qui se dévore comme un thriller, est un livre intelligent, brillant, drôle et terrifiant à la fois. Comme l’avenir.
Abel Quentin, Cabane, Éditions de l’Observatoire, 40 pages, 22 euros