Carter, l’anti-Trump
Mondialement loué pour son action humanitaire comme ancien président, Jimmy Carter a aussi gouverné les États-Unis avec honnêteté et mesure, à l’inverse de son lointain successeur.
La mort de Jimmy Carter à l’âge de cent ans a suscité des hommages partout dans le monde, notamment pour l’action humanitaire incessante qu’il a menée après avoir quitté la Maison-Blanche et qui lui a valu, entre autres distinctions, le prix Nobel de la Paix. Mais ces hommages sont ambigus. On les résume souvent d’un mot cruel : Carter fut le meilleur ex-président des États-Unis de l’histoire. Manière dire que son mandat ne fut pas à la hauteur de ses faits et gestes ultérieurs.
Voilà une injustice historique qu’il faut corriger. Même avec un bilan nuancé, les quatre années que passa Jimmy Carter au pouvoir font mesurer l’intense régression qui marque la politique américaine depuis cette époque et dont l’aboutissement s’est traduit par la réélection de Donald trump à la présidence. Pratiquement inconnu au début des primaires démocrates, le « planteur de cacahuètes », comme on le désigna avec ironie (il avait hérité de la ferme de son père en Géorgie), avait compris que le cynisme et les tricheries qui avaient émaillé la présidence Nixon, tout comme les déchirements de la guerre du Viêtnam, appelaient l’ouverture d’une ère nouvelle. Comme dans un film de Frank Capra, sa campagne se fonda sur les principes moraux de l’Amérique profonde que le président républicain démissionnaire avait foulés aux pieds avec ardeur.
Élu de justesse, Carter décida d’appuyer son mandat sur le redressement moral et la recherche de la paix. En politique intérieure, il prit les premières mesures importantes en matière de lutte pour l’environnement et développa l’action fédérale dans les domaines de l’éducation et de la santé, avant de faire face à la crise pétrolière. Mais c’est surtout en politique étrangère qu’il mit en œuvre ses principes. Il favorisa le désarmement nucléaire en négociant avec les Soviétiques, il remit en cause le soutien systématique accordé aux dictateurs sud-américains par la diplomatie américaine et mit fin à l’emprise des États-Unis sur le canal de Panama.
Il obtint surtout la signature du traité de paix entre Israël et l’Égypte qui avait conduit quatre guerres contre l’État juif. Les accords de Camp David ont démontré au monde – bien oublieux depuis – qu’un compromis entre Arabes et Israéliens était possible : depuis cette date historique, la paix entre Israël et l’Égypte n’a jamais été remise en question. Carter avait également prévu un arrangement honorable qui réglait la question de la Cisjordanie et de Gaza, mais le refus israélien l’a privé de toute application, avec les effets désastreux que l’on sait.
Si Carter a été sévèrement battu en fin de mandat par Ronald Reagan, ce n’est pas en raison de ce bilan. C’est le résultat de la vindicte du nouveau régime des mollahs envers les États-Unis, alors même que le président s’était éloigné du Shah avant sa chute. En prenant en otage plus d’une cinquantaine de diplomates américains, l’Iran de Khomeini a fait sombrer la présidence Carter, accusée de faiblesse avec les ennemis des États-Unis. Accusation injuste : c’est la malchance qui a sonné le glas de Jimmy Carter, et non sa pusillanimité. Loin de faire preuve de faiblesse, le président avait monté une opération de sauvetage des otages par un commando de l’armée américaine, qui a échoué à la suite d’une collision entre deux hélicoptères au point de rendez-vous dans le désert.
Carter s’est retiré avec dignité après avoir obtenu la libération de tous les prisonniers, qui furent relâchés par l’Iran une fois sa défaite électorale consommée. Ainsi s’achevait le mandat d’un président honnête, courageux, qui s’était évertué à apaiser les tensions mondiales et qui refusait les mensonges qui ont ensuite marqué la vie politique américaine. Un demi-siècle plus part, les Américains viennent de réélire un menteur compulsif condamné en justice, qui manie sans cesse l’insulte et l’outrance et qui a tenté d’inverser par la force le résultat d’un scrutin défavorable. L’anti-Carter.