Ce que la gauche attend de Bayrou

par Valérie Lecasble |  publié le 13/12/2024

Les socialistes ne participeront pas au gouvernement de François Bayrou mais ne le sanctionneront pas a priori. À condition qu’il se détache de la politique Macron pour impulser un tournant social.

Olivier Faure et François Bayrou, à la cérémonie d'hommage aux victimes françaises de l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, aux Invalides, le 7 février 2024. (Photo GONZALO FUENTES / PISCINE / AFP)

Jusqu’au dernier moment, cela a failli ne pas être lui. Il a fallu que François Bayrou pèse de tout son poids politique pour imposer sa nomination à Matignon, alors qu’Emmanuel Macron aurait préféré une personnalité plus docile qui ne détricote pas son bilan. Avec François Bayrou, il sait que tout est possible : il peut lui échapper totalement.

C’est le cœur de la question : Bayrou réussira-t-il à faire du neuf avec du vieux ? Il a permis à Emmanuel Macron de se faire élire il y a sept ans et il ne s’est guère démarqué de sa politique. Est-il capable de gouverner autrement ? Ou bien va-t-il perpétuer le macronisme ? « Bayrou est de plus en plus à gauche. Il va s’adresser au peuple de gauche, revenir au vrai Macron, sans Macron », promet, confiant, l’un de ses proches.

Lors de sa prise de fonction, le nouveau Premier ministre a donné quelques pistes : réduire la dette et les déficits pour ne pas en faire peser le poids sur les générations futures ; rendre leur chance scolaire à ceux qui n’en ont pas ; trouver un chemin inédit vers la réconciliation.

Cela va-t-il parler à la gauche ? Elle est dans l’expectative, attendant d’être reçue à Matignon. Depuis une semaine, les socialistes ont joué l’acte I de l’émancipation et montré une volonté d’ouverture nouvelle en se détachant de LFI. Sans poser de conditions, ni sur le nom ni sur le programme du futur Premier ministre, ils espéraient un Bernard Cazeneuve, qui aurait facilité la recomposition politique à laquelle ils aspirent. Pour eux, désormais, le Nouveau Front Populaire n’est plus un accord de gouvernement, mais un simple accord électoral destiné à faire barrage à l’extrême-droite après la dissolution.

Qu’en sera-t-il avec le gouvernement Bayrou ? Rien n’est sûr. « Je suis heureux que nous soyons sur un accord de non-censure, je le prône depuis le 25 août », se félicite le député de l’Eure Philippe Brun, l’un de ceux qui aurait pu participer au gouvernement. Mais il poursuit : « Je n’entrerai pas dans un gouvernement qui ne serait pas de gauche, sauf s’il devait mener une politique nouvelle », avant de se mettre à rêver d’ « un gouvernement de défense républicaine, avec une vraie inflexion de la ligne politique et sociale ». La position d’Olivier Faure est plus nette. Sur TF1 hier soir, il a subordonné la « non-censure » à deux conditions : pas de 49-3 et aucune concession au RN.

Tel est l’enjeu pour François Bayrou : son caractère, son expérience, ses convictions lui permettront-ils de montrer qu’il abandonne la politique d’Emmanuel Macron ? « Nul plus que moi ne connaît la difficulté de la situation », assure le nouveau Premier ministre. « J’ai conscience de l’Himalaya qui se dresse devant nous ».

« Nous allons entrer dans une période d’instabilité encore plus grande que sous Michel Barnier », ajoute Philippe Brun. « Il faut répondre aux urgences du pays : la désindustrialisation, le redressement des comptes, la crise du logement, la santé, l’école et renoncer à la suppression des 4 000 postes qu’avait proposée Michel Barnier ».
Il reconnaît néanmoins qu’un premier pas a été réalisé. « On a gagné la bataille culturelle de la non-censure. C’est une victoire sur la méthode ».

Mais l’épée de Damoclès de la censure est toujours là, comme celle qu’avait fait peser le Rassemblement National sur Michel Barnier. Pour ne pas sanctionner le gouvernement, pour ne pas céder à ses vieux démons et se replier sur une opposition radicale, celle que voudrait imposer LFI, la gauche devra remporter des victoires sur le fond. À François Bayrou de les lui donner.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique