Cécité

par Bernard Attali |  publié le 15/04/2025

Trump et Poutine avaient tout dit et tout annoncé depuis des décennies. Pourquoi n’a-t-on rien vu venir ?

Donald Trump signe un exemplaire de son nouveau livre « Trump, The America We Deserve » lors d'une séance de dédicaces aux Trump Towers, le 5 janvier 2000 à New York. (Photo MATT CAMPBELL / AFP)

L’aveuglement des démocraties est stupéfiant. Nos responsables semblent saisis de sidération devant les décisions du nouveau président des États-Unis. Et pourtant il nous avait prévenu. Depuis 40 ans , avec constance, dans d’innombrables discours, Donald Trump a traité les européens de « parasites » qui profitent de l’ouverture du marché américain tout en bénéficiant sans pudeur des garanties américaines en matière militaire. Il a écrit tout cela de façon très explicite dans la presse américaine (Washington Post et New-York Times, le 2 septembre 1987) alors qu’il n’était que promoteur immobilier.

Il l’a développé en 2009 dans un manifeste ultra nationaliste intitulé « The America we deserve ». Lorsqu’il déclare en février dernier que « l’Europe a été créée pour nous baiser … et c’est notre boulot de les baiser en premier », il ne fait que se répéter. Ces propos sont évidemment incohérents, insultants, mais certainement pas nouveaux. Ils s’inscrivent d’ailleurs dans le droit fil de la droite américaine : Richard Nixon dans les années 70 était moins foutraque, mais ne pensait pas très différemment.

Changeons de cap et regardons du coté de Poutine. Lui aussi nous avait prévenu ! Bien avant le 24 février 2022 au Forum de sécurité de Munich en février 2007 il dénonçait « l’agressivité de l’Otan et ses provocations. »  En 2014 il envahissait la Crimée en laissant entendre assez clairement que ce n’était qu’un début. En juillet 2021 , dans un grand article sur « l’identité historique des Russes et des Ukrainiens » il refusait avec force « l’idée d’une quelconque souveraineté ukrainienne, outil de l’Occident contre la Russie » ! À la même époque il menaçait explicitement  « d’actions militaires et techniques quiconque s’opposerait à ses revendications », tout en commençant à masser des hommes sur la frontière. À la veille de la guerre il qualifiait l’Ukraine de « création artificielle qui n’a jamais eu vocation à devenir un Etat ». 

C’était clair non ?

Ce qui est stupéfiant c’est que les dirigeants politiques européens n’ont rien vu venir, rien entendu, rien anticipé, aussi endormis que tous nos diplomates et autres observateurs que l’on dit qualifiés. Il serait temps de se demander pourquoi. Cécité ? Déni ? Incompétence ?

Bernard Attali

Editorialiste