Ces réseaux qui tuent

par Laurent Joffrin |  publié le 11/06/2025

On ne sait si le meurtre de Nogent est lié à la licence néfaste qui règne sur les réseaux sociaux. On sait en revanche que la diffusion massive d’images violentes auprès des enfants est néfaste pour leur développement mental.

Laurent Joffrin

Emmanuel Macron veut interdire les réseaux sociaux aux jeunes de moins de quinze ans. Laissons de côté toute autre considérations politique et disons-le tout net : il a raison. Non qu’une telle mesure éviterait à l’avenir tout drame de même nature que le meurtre d’une assistante d’éducation à Nogent dans la Haute-Marne, qui a ému la France entière. Toujours difficile d’établir un lien direct entre des mots, des images et des actes… Mais en tout état de cause, il s’agira, si elle est mise en oeuvre, d’une interdiction de salut public.

On s’est trop habitué, en effet, à laisser à ces réseaux sociaux un statut parfaitement exorbitant du droit commun. Comme leur nom l’indique, les médias numériques… sont des médias. Or ils échappent depuis toujours, en vertu d’un raisonnement faussé, aux lois les plus élémentaires qui régissent les autres médias. Impossible, pour les journaux, les radios, les télévisions, de diffuser des appels au meurtre, des insultes, des propos diffamatoires ou racistes, des images pornographiques ou d’une violence complaisante et insoutenable. Impossible… sauf pour les médias numériques.

En vertu d’un privilège extraordinaire, la communication en ligne n’est régulée par rien, sinon par l’obligation de retirer des canaux les messages illégaux une fois qu’ils sont diffusés. C’est-à-dire après qu’ils ont été répandus à foison sur la toile. C’est ainsi que des internautes innombrables peuvent de gaver de scènes de torture ou d’exécution, organiser sans limite le harcèlement de telle ou telle personne qu’ils ont prise pour cible, diffuser des idées nazies, islamistes ou xénophobes, diffamer qui bon leur semble, sans que les diffuseurs de ces messages illicites soient le moins du monde inquiétés.

Rappelons que dans les médias dits classiques, ou traditionnels, de telles pratiques vaudraient au directeur de la publication sa traduction immédiate devant un tribunal. Rien de tel, évidemment, pour les dirigeants des réseaux sociaux, qui font gros argent de ces messages illégaux diffusés par milliards, tout en prétendant qu’ils n’y sont pour rien. Comme s’ils se privaient, quand cela leur chante, de supprimer tel ou tel post qui leur déplaît ou de modifier dans l’opacité la plus totale les algorithmes qui en orientent la circulation.

Nul sociologue n’est évidemment capable de démontrer que cette anarchie numérique a influencé tel ou tel acte criminel pris isolément. La motivation des criminels garde toujours sa part de mystère et d’indétermination. Le jeune meurtrier de Nogent a-t-il agi sous l’influence de tel ou tel message numérique ou de telle image diffusée par les réseaux sociaux ? Nul ne peut le dire. Mais il faut être un ravi de la crèche numérique pour décider que la diffusion à jet continu d’images violentes et de messages de haine n’a aucun effet sur les mentalités et sur les comportements sociaux. Si les médias n’avaient pas d’influence, la publicité n’existerait pas. Si tel était le cas, personne ne déploierait le moindre effort pour populariser ses idées ou ses opinions.

Ce n’est pas parce qu’on a du mal à mesurer un phénomène qu’il n’existe pas. Il est donc infiniment probable que l’accès à la pornographie offert aux enfants dès qu’ils peuvent se servir d’un ordinateur a des effets néfastes sur la sexualité des ados et sur le respect dont ils témoignent envers les femmes. Il est infiniment vraisemblable que la diffusion massive d’images violentes et d’idéologies de haine a un effet délétère sur les esprits les plus fragiles ou les plus tentés de recourir à la violence.

Et comme personne n’a le courage politique de s’attaquer sérieusement aux multinationales du numérique qui tirent profit de ces activités délictuelles, l’interdiction des réseaux aux mineurs de quinze ans s’impose comme une mesure élémentaire.

Laurent Joffrin