« Champs de Bataille », l’histoire enfouie du remembrement
Cette enquête au fond des campagnes et des mémoires françaises révèle l’histoire du remembrement agricole. Entre exode rural et destruction de la biodiversité.
Voilà le plus grand plan social de l’histoire du pays, orchestré au début des Trente Glorieuses par le ministère de L’Agriculture, avec l’aide des fonds du plan Marshall. Son nom – presque inconnu du grand public – est le « remembrement ». Soit le fait de regrouper les parcelles agricoles pour créer des fermes plus grandes et plus productives. Une intention louable dans un pays qui peine à se remettre des pénuries d’un conflit mondial. Mais en pratique, il s’agit d’une gigantesque opération de destruction des biotopes ruraux, avec la financiarisation du monde agricole et la massification de l’exode rural.
Les chiffres sont à peine croyables : le nombre de paysans est tombé de 7 millions à 3,8 millions entre 1946 et 1962 ; et les campagnes françaises ont compté 130 000 départs par an à partir de 1955, tandis que près de 100 000 hectares de terres agricoles ont été grignotés chaque année par l’urbanisation et l’industrie… Une révolution, mais à bas bruit, dont la France a mal mesuré les conséquences sociétales ou environnementales.
Le grand mérite de ce roman graphique provient de la densité de l’enquête menée par Inès Léraud et Pierre van Hove. La journaliste et le dessinateur – connus pour leurs scoops sur les algues vertes tueuses et leur lien avec le nitrate des pollutions agricoles – ont compilé des dizaines d’histoires de petits villages où le remembrement forcé fit des ravages, du Limousin à la Champagne, en passant par le bocage breton.
Un récit passionnant et dense, qui lève le voile sur un bouleversement majeur de notre société, à l’heure où l’urgence écologique nous oblige à repenser nos modes production.
Champs de Bataille, de Inès Léraud et Pierre van Hove, Ed. La Revue Dessinée – Delcourt, 192 pages, 23,50€.