Charles de Courson : « Il n’y a pas de majorité pour réduire les dépenses publiques »
Pour boucler le budget 2026, il faudra plutôt 50 milliards que 40, assure le rapporteur général du budget de l’Assemblée nationale, député LIOT de la Marne. Il préconise un transfert de la charge des actifs vers les retraités. Revue de détail des mesures en discussion.

Où François Bayrou a-t-il trouvé 40 milliards d’euros pour le budget 2026 ?
Selon le rapport annuel d’activité des ministres Eric Lombard et Amélie de Montchalin, le programme de stabilisation à moyen terme 2025-2029 qui, après avoir été examiné par la commission des finances a été adopté en conseil des ministres, dit qu’il faudrait trouver plutôt 50 milliards que 40 milliards en 2026. Le calcul est le suivant : pour réduire de 5,4% à 4,6% le déficit de la France, cela nécessite une amélioration de 0,8 %, soit 25 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter la dérive spontanée des finances publiques qui oscille entre 15 et 25 milliards, en raison de l’aléa sur les recettes. Le ministre de l’Économie s’était déjà prononcé sur 40 milliards, et pour les tenir, il va falloir serrer les boulons, d’autant qu’il faudra poursuivre l’effort les années suivantes pour arriver à un déficit prévu de 2,8% en 2029.
Comment va-t-on économiser ces 40 à 50 milliards ?
Le sujet hante les débats parlementaires. Pour une somme aussi élevée, il faut faire des réformes structurelles. La philosophie générale serait de rééquilibrer les charges entre les générations en les faisant peser moins sur les actifs et davantage sur les retraités.
Ainsi est étudiée, pour les retraités, l’idée de supprimer les 10 % d’abattement fiscal pour frais professionnels, qui concerne la moitié d’entre eux. Plafonné aujourd’hui à 4 400 €, on pourrait diviser par deux le seuil de l’abattement pour le passer à 2 220€ qui équivaut aux revenus moyens d’un retraité en France. L’État récupèrerait alors 1,5 à 2 milliards sur les 4 milliards que lui coûte aujourd’hui cette exonération.
La deuxième piste est de ne pas réévaluer les pensions au rythme de l’inflation, mais à un niveau global inférieur, par exemple de 1 point, ce qui rapporterait environ 3 milliards d’euros à l’Etat. On pourrait le faire de façon modulée : on maintiendrait le pouvoir d’achat pour les petites retraites, jusqu’à 2 200€ puis on appliquerait des taux variables jusqu’à aboutir à zéro tout en haut du barème.
Enfin, le gisement le plus important demeure la TVA qui rapporte 250 milliards. Sans toucher au taux de 5 % des produits de première nécessité, on pourrait ajouter 1 point sur le taux de TVA à 20%, ce qui rapporterait à l’Etat 6 à 7 milliards.
Ceci permettrait en contrepartie de récompenser ceux qui travaillent : on pourrait en échange alléger les cotisations sociales des salariés de 0,6 à 0,7%. Il y aurait alors un réel transfert de la charge des inactifs vers les actifs.
La Sécurité Sociale est celle qui contribue le plus au déficit, davantage que les retraites…
Oui, c’est le sujet numéro un. Les arrêts de travail font déjà l’objet d’une réforme qu’il faut poursuivre vers une harmonisation entre les secteurs privé et public. Il y aujourd’hui 15 jours de carence dans le public avec un remboursement à 100 % et 3 jours dans le privé avec 50 %. Cela nécessitera des couvertures maladie complémentaires comme dans le privé où l’employeur assure 60 % du coût et l’employé 40 %.
Je serais référerais responsabiliser les entreprises : il me semblerait normal que celles qui sont mal gérées avec des taux d’absentéisme très élevés payent davantage que celles qui ont des taux bas. On pourrait imaginer une cotisation purement patronale dont le taux varie en fonction du degré d’absentéisme.
Concernant la santé, l’idée a été lancée par la Cour des Comptes de moduler les remboursements en fonction des revenus. Ce qui pose beaucoup de problèmes de principe. En France, la cotisation sociale est obligatoire parce qu’elle a une contrepartie. Y aurait-il alors un abandon du principe d’égalité ? Il faudrait interroger le Conseil constitutionnel. Cela demande beaucoup de doigté d’autant que les cadres payent déjà en proportion de leurs revenus.
On pourrait aussi déplafonner encore l’assurance-maladie en remontant très haut le plafond. Et également moduler le taux de remboursement pour les plus âgés, ceux qui coûtent le plus à l’assurance maladie.
On oublie enfin qu’il y a en France beaucoup de régimes différents d’assurance maladie.
On parle toujours des régimes de base mais il y a des régimes complémentaires obligatoires qui offrent de très bons remboursements. Ils prendront en charge le différentiel. Mais les mutuelles augmenteront leurs cotisations. Par exemple, les électriciens et les gaziers bénéficient de régimes surcomplémentaires très intéressants.
Sur quoi d’autre peut-on agir ?
Sur deux dépenses fiscales de crédit d’impôt. D’abord, le crédit d’impôt-recherche qui coûte 7,7 milliards. Par exemple si on supprimait les 5% de crédits octroyés au-delà de 100 millions, cela en économiserait une grande partie sans toucher aux crédits d’impôt de moins de 100 millions qui coûtent 2,2 milliards. On peut aussi changer l’assiette.
Ensuite, il y a les 6,5 milliards de crédits d’impôt alloués aux aides pour les services à domicile sans que l’on sache exactement de quel type d’emploi il s’agit et de qui en profite. L’État doit-il financer le jardinier d’un grand patron du CAC 40 ? On pourrait à minima en baisser le taux. Et puis, Amélie de Montchalin le répète à l’envi, il existe 440 lignes d’exonérations fiscales diverses et variées dont certaines ne sont même pas explicitées. Elle préconise de les supprimer.
La politique du Covid a cassé l’incitation au travail
Pourquoi, après avoir vécu depuis le Covid sur le « quoiqu’il en coûte », basculer sur « ça ne peut plus durer » ?
Parce que nous devons prendre des engagements européens. A notre niveau d’endettement, les gouvernements n’ont plus de marge de manœuvre pour mener des politiques publiques. Si c’était pour des investissements ou des infrastructures, cela aurait un sens. Mais là, on finance des dépenses de fonctionnement à crédit ce qui fait monter les taux d’intérêt. C’est intenable.
La mobilisation lancée par François Bayrou est destinée à faire basculer l’opinion publique. Nous, les personnalités invitées, étions des pots de fleurs. Nous avons entendu pendant la matinée, une série de monologues, pas un ensemble de proposition de réformes. C’était vaseux.
Il est vrai que pendant et depuis le Covid, nous avons beaucoup trop dépensé. Nous avons transformé les banques en distributeurs de prêts, avec des droits aux prêts garantis à 90 % pour un montant de 140 milliards. La moitié, soit 70 milliards, ont été maintenus sur des comptes courants où des petits malins ont récupéré des lignes de trésorerie à seulement 0,5% d’intérêt au lieu du 1,5 % habituel. Ils ont donc gagné 1%.
Pour le reste, on a maintenu en vie des entreprises moribondes en étalant dans le temps des remboursements qu’elles n’ont pour certaines d’entre elles jamais pu effectuer. C’est ainsi que nous avons vu une très forte augmentation des dépôts de bilan, supérieurs à ceux de 2019.
L’État a aussi pris en charge 85 % des salaires en chômage technique. Des chefs d’entreprises ont dit à leurs salariés : télétravaille chez toi, je te paie 15 % de différentiel. L’accord ainsi passé entre le salarié et l’entreprise qui étaient complices a fait peser sur l’État la charge de leurs salaires.
Or, la seule richesse, c’est le travail. En cela, la politique du Covid a été mauvaise. Elle a cassé le ressort de l’incitation au travail. Sans compter les tensions créées par le télétravail qui profite seulement aux cadres et aux branches de certains services.
Si on en est là, c’est que les Français ne travaillent pas assez ?
Le vrai problème n’est pas tant la durée du travail qui est d’environ 700 heures par an, pas très différente de celle des autres pays. C’est la différence des taux d’activité : les jeunes travaillent plus tardivement et on arrête de travailler plus tôt.
L’Etat devrait supprimer toutes les règles contre le cumul emploi-retraite : cela ne lui coûterait rien et lui rapporterait beaucoup. Car si on travaille une à deux années de plus, on continue à payer des cotisations.
Je suis un vieux Démocrate, j’étais en face de François Bayrou lors du discours où il avait dit on ne peut continuer à endetter la France. En 2007, je lui faisais des fiches. Ce discours n’est pas nouveau pour lui mais il n’est jamais passé à l’étape d’après, à savoir quelles sont les grandes réformes structurelles qui redresseraient les finances publiques. Dans son show pour réduire la dépense, il manque les pistes et les propositions.
Le grand danger serait que l’on suive LFI qui affirme que le problème, ce sont les recettes, c’est-à-dire les 200 milliards qu’on a donnés au patronat et qui veut « faire payer les riches ». L’illusion est de croire qu’il y aura un accord entre les partis politiques.
Les grandes réformes, ce n’est pas de réduire les dépenses publiques, cela a été largement fait, mais les dépenses sociales : la maladie et les retraites pour lesquelles il faudrait mettre en extinction tous les régimes afin de créer un nouveau régime général unique.
Je crains qu’il n’y ait pas de grandes réformes car il n’y a pas eu de direction donnée par les ministres, ni de grands axes avant notre prochaine réunion, à la fin juin.
Je crains aussi qu’il n’y ait pas de réductions de dépenses publiques car il n’y a ni la majorité politique ni le temps nécessaire pour les mener. Pour trouver 40 à 50 milliards d’euros, je ne crois pas un mot de la promesse de ne pas toucher aux prélèvements obligatoires.
Propos recueillis par Valérie Lecasble