Los Angeles : un roman l’avait prédit
Qualifié de « classique moderne », « prophétique, terrifiant, édifiant » par Stephen King lui-même, Le Déluge, de Stephen Markley décrit un incendie qui ravage Los Angeles en 2031. Il l’appelait El Demonio. C’est arrivé plus tôt que prévu…
L’action se déroule entre 2013 et 2039. Le roman met en scène une foule de personnages qui s’affrontent sur fond de crise climatique. Pas celle que nous connaissons aujourd’hui, mais celle qui vient avec de gigantesques cataclysmes qui ravagent la planète, laissant derrière eux des centaines de millions de morts : inondations, montée des eaux, effondrement des côtes, dômes de chaleur, incendies dévastateurs.
En 2031, El Demonio a ainsi réduit la moitié de Los Angeles en cendres. Ce chaos encourage les groupuscules fascistes et les milices privées à emprisonner, violer, torturer, assassiner en toute impunité. Le gouvernement américain lui-même édicte des lois liberticides afin de contrôler les écologistes, pacifistes ou radicaux, sans faire de détail. La loi du plus fort – et du plus riche – règne.
Ce n’est pas faute d’avoir été prévenus. Dès 2013, le professeur Tony Pietrus, un cador du département de géologie et géophysique de Yale, avait démontré que les hydrates de méthane qui jonchaient le plancher océanique allaient fondre, à un horizon proche, provoquant la disparition rapide des continents arctiques et antarctiques. Autant prêcher dans le désert. Les seules réactions qu’il avait alors reçues étaient des menaces de mort.
Certains écologistes, cependant, prennent Pietrus au sérieux, mais tous n’optent pas pour la même stratégie de lutte. Shane, une mystérieuse jeune femme qui a pris soin d’effacer toute trace de son passé, choisit le terrorisme. Elle réunit un petit groupe connu sous le nom de 6Degrees, dont l’objectif est de faire sauter les centrales à charbon et les pipelines aux quatre coins des États-Unis. Elle a enrôlé Murdock, un vétéran de la guerre en Irak qui maîtrise parfaitement la technique des explosifs. L’organisation, calquée sur celle de la Résistance française, se révèle si parfaitement cloisonnée que le FBI ne parviendra jamais à les identifier.
À l’inverse, Kate Morris choisit d’agir à visage découvert. Cette jeune femme charismatique, au langage cru et à la bisexualité exubérante, est un volcan en perpétuelle éruption et un génie de la communication. Elle réussit à entraîner dans le sillage de son mouvement Fierce Blue Fire des centaines de milliers de sympathisants pacifistes, mais déterminés. Contrairement à 6Degrees, elle est prête à des compromis avec le gouvernement, lequel se durcit pourtant violemment.
À mesure que le chaos s’installe, les présidents successifs des États-Unis, démocrates et républicains, passent à l’action musclée. Sont visés, dans un premier temps, les émigrés mexicains, les Noirs et les musulmans. Après que le mal-nommé président Love a réprimé dans un bain de sang – 700 morts – une manifestation pacifique, genre Woodstock, organisée par Kate Morris sur le Mall de Washington, une nouvelle figure, plus dangereuse encore, émerge.
C’est un ancien acteur de seconde zone de Hollywood qui se fait appeler le Pasteur. Il se prend pour le Christ, prophétise les pires catastrophes, se représente avec une croix sur les épaules, brandit la Bible, promet de résoudre le problème par le glaive – c’est à dire l’arme nucléaire. Ce fou furieux dont les millions de disciples se rasent le crâne et se promènent ruisselants de sang en robe de bure, est en passe de remporter la Maison-Blanche.
L’heure est aux dystopies. Celle que nous propose Stephen Markley est particulièrement effrayante en cela qu’elle paraît, au bout du compte, assez réaliste. L’engrenage que ce formidable roman dénonce n’est-il pas déjà en route ? Stephen King a raison. Le Déluge est prophétique, terrifiant, édifiant.
Le Déluge de Stephen Markley, Traduit de l’américain par Charles Recoursé, publié dans l’excellente collection « Terre d’Amérique » dirigée par Francis Geffard chez Albin Michel, 1040 pages, 24,90€