Comment faire de l’écologie un bouc émissaire
Que ce soit pour les ZFE, pour l’isolation des bâtiments ou pour l’interdiction des pesticides, on interdit d’abord, et on réfléchit ensuite. Ainsi se répand le mythe de l’écologie punitive…

Brillante idée que de faire tout à l’envers. Avant de proscrire l’accès aux centres-villes aux véhicules trop polluants (ce qui est une bonne idée), peut-être eût-il fallu mettre en place des aides au renouvellement des véhicules à la hauteur des besoins. Avant d’interdire la location des logements passoires (ce qui est une bonne idée) et ainsi forcer les propriétaires à les rénover, il eut fallu des aides bien plus massives (on a tenté le contraire). Au lieu d’interdire à une date butoir des pesticides qui se révèlent mortifères, il eut fallu auparavant disposer d’alternatives crédibles, etc.
Résultat, les mesures écologiques sont ressenties comme punitives et l’écologie devient le bouc émissaire de la colère populaire. Or ce ne sont pas ces mesures qui sont punitives mais leur mauvaise mise en œuvre.
La véritable punition, on la voit tous les jours : des villes dévastées par des inondations et des tempêtes, des villages ensevelis par l’écroulement de glaciers qui ne résistent pas à l’augmentation des températures, des récoltes dévastées, des morts en nombre croissant dus à la mauvaise qualité de l’air ou aux canicules à répétition, la perte continue des puits de carbone que sont les forêts et les océans. La liste s’allonge chaque jour.
Comme la sécurité routière, les mesures écologiques sont proposées pour le bien de tous, mieux, pour notre vie et surtout celle de nos enfants. Pourtant, toute espèce d’effort « écologique » semble insupportable. Mieux vaudrait d’ailleurs parler de « mesures de survie », d’abord parce que c’est la vérité, ensuite parce que c’est un sujet transpartisan et que le mot écologique renvoie à la notion de « parti écologique » qui est un repoussoir pour certains. Cette erreur sémantique détourne l’opinion de l’urgence du véritable sujet : la sauvegarde de la nature qui est la condition de notre vie sur terre ainsi que celle de millions d’espèces vivantes.
Le plus fou, c’est que ces catastrophes entraînent des dépenses pharaoniques d’assurances, de reconstruction et de dédommagement qui viennent augmenter notre PIB, participent à la croissance, nourrissant ainsi notre crédo productiviste. Plus de réchauffement, c’est plus de PIB. Absurde non ?
Que faire ? Il faut, et les média et la culture en général sont en première ligne, développer un récit positif. Montrer ce qu’on y gagne plutôt que ce qu’on y perd, mettre en place de vastes campagnes d’information et de formation auprès du public, faire pression sur les entreprises et les aider à organiser leur décarbonation et, surtout, mettre les moyens en face de nos ambitions. Ces moyens portent un nom : la transition écologique, c’est à dire une planification et de l’argent, beaucoup d’argent. Pour cela, il faudra bien un jour partager mieux les richesses (en euros et en crédit d’émissions – voir le compte carbone).
On le sait : les courbes de revenus et d’émissions de GES coïncident. Pas d’autre issue, dès lors, que de demander aux plus émetteurs, c’est-à-dire aux plus riches, de contribuer à la hauteur de leurs revenus. La droite l’a bien compris. Elle fait tout pour bloquer les initiatives dont nous avons besoin pour organiser la survie de la génération actuelle mais surtout celle de nos descendants : « préserver la tradition mais non la planète, transmettre des finances meilleures mais un environnement totalement dégradé » dixit Laurent Joffrin.
La ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche l’a annoncé : le gouvernement travaille à un plan d’adaptation de la France à une température moyenne en hausse de 4°. Nous voilà rassurés ! Et libres de continuer consommer et à émettre ! Sauf qu’à +4°, tous les experts le confirment, la vie est quasi impossible et l’humanité se fera une guerre sans merci pour survivre. A quoi bon s’adapter si l’on ne freine pas, un tant soit peu, la machine folle du réchauffement ? C’est le contraire qui se produit et les émissions mondiales ont encore augmenté de 1% en 2024.
Nous n’avons aucune prise, dit-on, sur le comportement des autres pays. C’est l’argument du défaitisme. Certes les États-Unis de Trump ont tourné le dos à la science et à la raison. Certes la Chine émet bien plus que la France (mais pas les Chinois qui émettent en moyenne 6t de CO2e/an/personne contre 9t/an pour les Français). Certes on se sent impuissant dans ce contexte d’exploitation à outrance de la nature.
Mais la France peut aussi montrer l’exemple. Si son économie s’en trouve finalement renforcée et moins dépendante grâce au retour des industries sur notre sol, à la création de nouveaux emplois, à une redistribution plus juste des richesses, à l’essor de la consommation vers des produits et activités moins carbonée, à la baisse des dépenses de santé autorisée par une meilleure alimentation, elle peut ouvrir la voie. Elle l’a déjà fait par le passé : la TVA, création française en 1954, a ensuite été copiée et mise en œuvre dans le monde entier ; les congés payés qui devaient détruire l’économie française se sont généralisés, etc. Nous ne sommes pas à l’abri d’un coup de chance…