Comment Lecornu s’est imposé

par Valérie Lecasble |  publié le 10/10/2025

Emmanuel Macron donne « carte blanche » à son nouveau Premier ministre qui a accepté « par devoir » de rempiler à ses côtés. Lecornu était, pour le président de la République, la seule option pour remplir les deux missions vitales : éviter la dissolution, faire passer le budget.

Le 10 octobre 2025, le président Emmanuel Macron a reconduit son Premier ministre sortant, Sébastien Lecornu, dans ses fonctions, quatre jours seulement après sa démission. Le 6 octobre 2025, le Premier ministre sortant, Sébastien Lecornu, a remis la démission de son gouvernement au président. (Photo STEPHANE MAHE / POOL / AFP)

S’il n’en restait qu’un, c’était celui-là. Le seul qui demeurait à ses côtés pour lui éviter la dissolution, la démission ou pis, la destitution. Gabriel Attal a pris toutes les distances en disant qu’il « ne comprenait plus le président », et qu’il « fallait partager le pouvoir et ne pas donner le sentiment de s’acharner à vouloir garder la main sur tout ». Edouard Philippe a appelé à une présidentielle anticipée. Et en fait, Emmanuel Macron se préoccupait davantage de l’identité de son futur Premier ministre que des états d’âme de ses deux anciens.

Au contraire, plus ces deux-là multipliaient les critiques, plus c’était la preuve de la valeur de celui qu’il avait, dès sa démission lundi, décidé de reconduire à Matignon : Sébastien Lecornu. La première fois déjà, il avait lancé le grand débat pour tirer de l’ornière Emmanuel Macron lorsqu’il était conspué par les gilets jaunes.

Reconduit à Matignon, il pourrait bien sauver une deuxième fois son ami le président de la République, à qui il a fait la double promesse de faire passer le budget 2026 et de lui éviter la dissolution tant redoutée. À la condition expresse, qu’il a mis tout son poids et toute la semaine à obtenir : que Macron cesse de se mêler de ses affaires et laisse enfin à son Premier ministre « carte blanche » pour gouverner.

Macron a dû obtempérer car qui, mieux que Lecornu, cochait toutes les cases pour le job ? Comme à chaque fois depuis la dissolution, les conseillers de l’Élysée ont amusé la galerie et laissé fuiter des noms comme autant de ballons d’essai pour détourner l’opinion de l’essentiel. Ils ont laissé croire que cette fois, ce pourrait être le tour de la gauche qui le réclamait. Mais les personnalités envisagées n’avaient aucune chance. Olivier Faure est trop critique et Bernard Cazeneuve, qui a quitté le PS il y a trois ans, n’embarque pas les députés socialistes. Quant à Pierre Moscovici, qui conjugue une solide expérience et une vraie appartenance à la gauche, allez-savoir pourquoi, Emmanuel Macron ne l’aime pas. Jean-Louis Borloo était une option. Mais en dépit de ses bonnes idées, il n’a plus la niaque. Dès lors, qui restait-il, sinon Lecornu ?

Encore fallait-il pour cela que ce fidèle puisse tordre le bras du président. Le Premier ministre avait compris que sans une avancée claire sur la réforme des retraites, il n’aurait aucune chance d’embarquer la gauche. Lors d’un dîner en tête à tête tout début octobre, Macron avait refusé de s’y plier, arcbouté sur le maintien de sa réforme. La soudaine colère de Bruno Retailleau à l’annonce du gouvernement donne à Lecornu le prétexte qu’il attendait.`

Comment gouverner sous la férule d’un chef de l’État désavoué par l’opinion ? Contrairement à ses ex-camarades Attal et Philippe, Lecornu prend bien soin de ne jamais attaquer publiquement Emmanuel Macron. Adroit, il ne réclame rien pour lui, et juge au contraire que sa mission est terminée. Dès lors, comment Macron peut-il s’en sortir sans lui ? Attaqué de toute parts, le président est acculé et convaincu que seul Lecornu peut le sauver. Le tweet laudateur publié par Olivier Faure le soir de la démission du Premier ministre n’a échappé à personne : il y salue son attitude gaulliste, et révèle ce qui sait dans les coulisses, Faure et Lecornu se respectent.

Encore faut-il que Sébastien Lecornu s’assure que sa mission est jouable. Jeudi soir, la veille de sa reconduction, un dîner réunit jusque tard dans la nuit Macron et Lecornu qui pose ses conditions : aucun présidentiable au gouvernement et une marge de manœuvre sur les retraites. La gauche réclame la suspension de la réforme, Macron lui accorde le report. Une subtilité dont la résolution est la condition pour éviter la dissolution.
Clap de fin de la semaine de tous les dangers. Place à une nouvelle discussion …

Valérie Lecasble

Editorialiste politique