Comment Netanyahou veut refaire le Proche-Orient
L’ouverture d’un nouveau front en l’Iran confirme la fuite en avant d’un premier ministre israélien enfermé dans sa logique de guerre.

L’offensive lancée par Israël contre l’Iran ne connaît aucun répit. Dès les premières minutes de l’attaque, on a vu l’ampleur de l’opération, plus d’une centaine de cibles réparties sur l’ensemble du territoire iranien ont été touchées. Il ne s’agit pas seulement d’installation liées au programme nucléaire ou à la fabrication de missiles balistiques : le ciblage portait aussi sur d’autres sites militaires, sur des personnalités phares du régime comme le patron des gardiens de la révolution, Hossein Salami, tué par une frappe de même qu’une dizaine d’ingénieurs travaillant sur le programme nucléaire.
En riposte les salves de missiles envoyés par Téhéran ont déclenché les sirènes dans les plus grandes villes d’Israël. Mais « dôme de fer » est efficace, les 150 missiles balistiques envoyé par Téhéran la première nuit ont tué trois personnes, plusieurs dizaines d’autres ont été blessé.
La décision de Benyamin Netanyahou d’ouvrir un nouveau front contre l’Iran confirme la fuite en avant d’un premier ministre israélien enfermé dans sa logique de guerre. Elle balaye d’un coup les négociations laborieuses ouvertes voici deux mois à Mascate entre l’Iran et les États-Unis. Par ses récentes déclarations Donald Trump a pu donner l’impression que ce nouveau canal diplomatique était prometteur. Il avait donné soixante jours à Téhéran pour avancer vers un compromis. L’adoption en début de semaine d’une résolution de l’AIEA, indiquant que l’Iran violait ses engagements a fait monter la pression.
Aux premières heures de l’attaque, Netanyahou s’est exprimé dans un message en anglais sur YouTube. Le premier ministre israélien a remercié son allié américain pour son engagement contre le programme nucléaire iranien. Cette désinvolture apparente vis-à-vis du patron de la Maison-Blanche ne doit pas faire illusion quand on connaît la proximité qui existe entre les deux hommes. Netanyahou a présenté son attaque comme une action préventive visant à briser la préparation par Téhéran d’un « holocauste nucléaire ».
En parlant d’une guerre longue pour éliminer cette menace, le discours de Netanyahou a pris des accents « trumpiens », il s’est adressé directement aux Iraniens : « je crois que le jour de votre libération est proche ». L’objectif stratégique des frappes contre l’Iran, n’est donc pas seulement la neutralisation des capacités nucléaires, mais bien un changement de régime à Téhéran. L’élimination de certains personnages clef du régime conforte cette perspective.
Dans un autre discours devant les Nations Unies, en septembre dernier, le premier ministre israélien avait déjà annoncé les étapes de son action en parlant de la « malédiction iranienne ». Il dessinait les contours d’un nouveau Proche-Orient, sans le Hezbollah libanais, sans le Hamas palestinien, sans le régime des mollahs à Téhéran. Peu après cette intervention, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, était tué dans son bunker de Beyrouth par la chasse israélienne.
Soixante-douze heures depuis le début de l’offensive, certains détails révèlent un niveau de préparation militaire sophistiqué qui a duré plus de huit mois. Ainsi des unités spéciales du Mossad ont réussi à monter une base de drones kamikazes proche de Téhéran. D’autres forces spéciales ont neutralisé les batteries de missiles sol-air assurant la défense de la capitale iranienne. Au troisième jour de la guerre, l’état-major israélien affirme avoir obtenu la maîtrise du ciel dans tout l’ouest de l’Iran.
Autrement dit « la route de Téhéran » est ouverte, la capitale iranienne est à la merci de la chasse israélienne. Déjà la nature des frappes peut changer : des raffineries ou toutes sortes d’objectifs économiques sensibles peuvent être atteints, sans parler du personnel politique au pouvoir qui lui aussi peut être touché à tout moment. Dans un premier temps, il s’agit de prouver que le régime ne contrôle plus la situation, qu’il est vulnérable. Objectif : jeter le trouble dans la population iranienne.
L’intensité de l’opération en cours pourrait cependant resouder une partie de l’opinion iranienne non pas en soutien au régime des mollahs, mais par reflexe nationaliste, le dossier nucléaire étant aussi vécu à Téhéran comme une question d’indépendance nationale.
Arrivé à la Maison -Blanche en affirmant sa volonté de tourner le dos aux aventures militaires, Trump a pris acte de l’opération en cours. Il veut donner l’impression de s’être rallié à une initiative qu’il ne souhaitait pas vraiment en sachant pertinemment qu’Israël utilise des bombes américaines. Peut-être certains de ses conseillers lui ont rappelé combien les États-Unis se sont fourvoyés en avril 2003 en renversant le dictateur Saddam Hussein sans avoir prévu de solution de rechange. Comme si on pouvait imposer la démocratie pas la force. On a vu alors comment les débris de l’ancien régime irakien ont fait cause commune avec les islamistes pour former Daech, vite devenue la centrale mondiale des attentats les plus meurtriers.
Alors que la chasse israélienne patrouille à son aise dans le ciel de Téhéran, l’Iran dévoile aujourd’hui sa vulnérabilité militaire. Le régime des mollahs est isolé, il a perdu son leadership comme chef de file de « l’axe de la résistance » avec pour alliés le Hezbollah libanais et les Houthis du Yémen. Au passage les responsables israéliens commencent à faire entendre une autre petite musique : « Gaza n’est plus notre priorité ». Profitant du décentrage de l’attention internationale sur Téhéran, l’épuration ethnique et le blocage de l’aide alimentaire de l’enclave palestinienne continuent à l’abri des regards.