Comment Trump réécrit l’histoire

par Gilles Bridier |  publié le 13/04/2025

Les États-Unis veulent sortir du piège économique qu’ils ont eux-mêmes tendu, mais leur président s’égare dans un mensonge historique.

Le directeur général de l'OMC, Roberto Azevedo, prononce un discours sous le regard du président américain Donald Trump au Forum économique mondial de Davos, en Suisse, le 22 janvier 2020. (Photo de JIM WATSON / AFP)

Pour justifier ses buts de guerre économique, Donald Trump réécrit quarante ans d’histoire. « Notre pays a été pillé, saccagé, violé et dévasté par des nations proches et lointaines, des alliés comme des ennemis…», martèle-t-il pour enflammer les foules. « La mondialisation est finie », décrypte le Wall Street Journal. Le message est clair. Et pourtant…

Flash-back sur la fin du siècle dernier. Ce sont bien les États-Unis qui, s’appuyant sur les règles du GATT (Accord general sur les tarifs douaniers et le commerce) définies en 1947 et dont ils furent les grands architectes, ont initié le mouvement de dérégulation et de globalisation, pour leur intérêt. Personne n’a tordu le bras aux entreprises américaines pour investir à l’étranger et délocaliser leurs productions, lorsque l’Organisation mondiale du commerce (OMC) prit le relais du GATT en 1995. Objectif: maximiser les retours sur investissement en étendant progressivement leur chaîne de production à l’échelle planétaire. Comment? En profitant d’une main d’oeuvre bon marché dans les pays en voie de développement en Asie, et en captant une part du pouvoir d’achat de nations plus favorisées comme en Europe.

Le projet s’inscrivait dans l’idéal américain, à la fois pour étendre l’influence de la nation la plus puissante de la planète sur l’ensemble du monde, augmenter les profits pour les actionnaires, et proposer des prix bas aux consommateurs. En plus, ces investissements devaient accélérer l’émergence de nouveaux marchés que ces entreprises se faisaient fort d’exploiter ensuite. Les Européens entrèrent dans la danse. Ce fut l’âge d’or des multinationales.

Au départ, les décideurs rassuraient l’opinion publique en affirmant que les centres de décision et de recherche ne seraient pas délocalisés. Mais progressivement, au nom des nécessaires synergies et des économies potentielles, la matière grise suivit le même chemin. Rien n’obligea les entreprises occidentales à déserter leur pays d’origine, sinon la concurrence qu’elles se livraient.

Les transferts de technologie ont permis aux pays d’accueil d’acquérir progressivement une certaine autonomie dans des secteurs où ils n’étaient que des pourvoyeurs de petites mains. Ils s’émancipèrent et des classes moyennes dotées d’un vrai pouvoir d’achat apparurent. Les progrès furent d’autant plus rapides, en Chine par exemple où Pékin imposait au entreprises occidentales de cohabiter avec un acteur local dans des joint-ventures à 50/50. En Corée du sud, les « chaebols » apprirent à maîtriser les technologies de Ford et General Motors pour développer leurs propres marques automobiles. En Chine, Lenovo hérita des ordinateurs IBM, les trains à grande vitesse roulent à partir d’une technologie Siemens et des avions commerciaux sont conçus sur le modèle Airbus. Et deux symboles de l’Amérique conquérante, Apple et Tesla, ne sauraient aujourd’hui se passer de leur ancrage industriel chinois. Ce ne sont que des exemples.

Les États-Unis sont devenus dépendants d’un modèle économique qu’ils ont eux-mêmes poussé à son paroxysme. Au point que, dans un secteur aussi grand public que les ordinateurs et les smartphones, Donald Trump est obligé de battre en retraite dans l’application des taxes de 145% qu’il impose par ailleurs à Pékin. A cause de l’inflation qui serait ainsi générée aux États-Unis, et des risques qu’il ferait courir aux entreprises américaines qui produisent en Asie et commercialisent en Amérique. On ne parle pas ici de productions locales issues de l’espionnage industriel – ce qui existe aussi en Chine – mais de productions américaines délocalisées qui ont fait la fortune de milliardaires américains. Et vis-à-vis de l’ex-allié européen, Washington devra prendre quelques précautions avant d’imposer des oukases au moment où le nouvel ami russe semble se défiler.

Gilles Bridier