Commerce : la guerre des empires

par Gilles Bridier |  publié le 11/04/2025

Par son revirement sélectif, Donald Trump a désigné son ennemi : la Chine. Le monde entier le savait, c’est maintenant plus clair. Deux blocs affûtent leurs armes.

Trump intensifie la guerre commerciale en augmentant les droits de douane sur les importations chinoises à 145 %. Cependant, la Chine réagit en imposant des droits de douane de rétorsion de 84 % sur les produits US. (Photo prise à New York, le 19/04/25, ©Deccio SERRANO / NurPhoto AFP)

Sursis pour les uns, couperet pour l’autre. L’hubris boursouflée du président américain et sa versatilité narcissique ont révélé le sens profond de la guerre commerciale qu’il a déclaré au monde. En reportant l’application de la flambée des droits de douane qu’il avait unilatéralement déclenchée, et en ne les maintenant que vis-à-vis de la Chine au taux exorbitant de 125%, Donald Trump met bas les masques et déclare la guerre à Pékin. Fallait-il pour autant menacer le commerce mondial d’un tel chambardement et mettre le feu aux places boursières?

Car le bras de fer entre Washington et Pékin n’est pas nouveau. La Maison Blanche, on le sait, veut endiguer l’invasion des importations chinoises dont le montant a atteint 440 milliards de dollars l’an dernier, contre 145 milliards d’exportations. Toutefois la violence de la stratégie de Donald Trump va accélérer la dérive des continents entre les deux capitales. Selon l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les échanges entre les États-Unis et la Chine pourraient baisser de 80%, entraînant un recul du PIB mondial de 7%. Et il n’est pas certain que la méthode de la Maison-Blanche soit à l’avantage des États-Unis.

La tempête déclenchée par le président américain a incité tous ses anciens partenaires commerciaux – Europe comprise – à s’interroger sur la pertinence de leurs réseaux d’échanges traditionnels, et à chercher de nouveaux débouchés pour leurs exportations. En Asie du Sud-est, les liens se sont resserrés et le dialogue au sein de l’ASEAN s’élargit à des pays comme le Japon et la Corée du Sud qui furent pourtant historiquement des ennemis de la Chine (voir nos articles sur le sujet). L’allié américain ayant manifesté son inconstance, le pragmatisme impose de construire de nouveaux réseaux, en l’occurrence favorisés par la proximité géographique de ces pays. Ainsi, selon les douanes chinoises, c’est avec les pays de l’ASEAN que les échanges de la Chine ont le plus progressé dans la période récente, alors qu’ils se sont replié avec les Etats-Unis.

Ces mouvements centripètes autour de la Chine semblent dessiner deux blocs. L’un, asiatique, mené par Pékin, composé des membres historiques de l’ASEAN, avec des satellites comme le Japon et le Corée du sud qui ne sortiront pas toutefois du parapluie militaire américain. L’autre, occidental, avec Washington comme épicentre. La partie chinoise ne manque pas d’atouts, grâce à ses réserves de matières premières indispensable à l’industrie. Quant aux hydrocarbures dont elle ne dispose pas autant que les États-Unis, elle peut compter sur ses alliés comme l’Iran ainsi que la Russie avec qui les liens sont d’autant plus solides que des gazoducs relient aujourd’hui les deux pays. Les tentatives américaines pour tenter de rompre ce lien sont vouées à l’échec.

Et l’Europe, dans ce maelström ? Elle est une puissance commerciale, mais reste un nain politique à cause des discordances qui s’expriment en son sein et de son incapacité à s’affranchir de la tutelle américaine. Construite sur un projet de communauté économique et financière, elle ne parvient pas à franchir le pas d’une réelle union, aussi bien sociale que fiscale ou militaire. Elle est pourtant une force en soi, avec globalement 70% des échanges des pays membres réalisés dans le cadre du commerce intra-communautaire. Mais son tropisme américain, exacerbé chez les pays les plus conciliants dans l’accueil des entreprises américaines, la bride dans sa revendication de souveraineté, comme l’ont montré ses navrantes hésitations pour répliquer aux oukases de Donald Trump. Le Canada fait preuve d’une plus grande détermination dans la sauvegarde de son intégrité. Dans le face à face des deux blocs, l’Union européenne ne pourra pas faire longtemps illusion si elle se contente de revendiquer l’originalité de son modèle et son poids économique. Sauf à se réinventer, elle restera le parent pauvre du bloc occidental.

Gilles Bridier