Contre la démocratie : les cavaliers de l’apocalypse

par Bernard Attali |  publié le 29/10/2024

C’est un défi mondial qui est lancé aux pays de liberté, par quatre ennemis mus par la haine : la Russie, la Chine, l’Iran et la Corée du Nord.

Des soldats de Russie, d'Iran, de Chine et de Corée du Nord posent pour une photo devant une exposition de fleurs « Kimjongilia » célébrant le défunt dirigeant Kim Jong Il, à Pyongyang en 2019. (Photo Ed JONES / AFP)

À force de dire que l’histoire ne se répète pas nous avons fini par oublier tout ce qu’elle nous apprenait. Nous n’avons pas voulu voir le retour de la barbarie. L’Irak : 500 000 morts en vingt ans. Yémen : 380 000 en sept ans. Ukraine : 500 000 morts en deux ans. Les Grands lacs : un million en cinq ans. Le Soudan, l’Érythrée, des millions de victimes. La troisième guerre mondiale est en route.

Le 24 février 2022 la Russie attaque l’Ukraine. Stupeur. Le 7 octobre 2024 le Hamas attaque Israël. Désarrois. Ces deux dates resteront dans l’histoire. L’Occident découvre qu’il est attaqué à l’est et au sud par deux barbaries et ce n’est pourtant une surprise que pour les autruches qui gouvernent le monde. L’arrivée des soldats nord-coréens sur la frontière de l’Ukraine -avec la complicité tacite de son allié chinois- n’est qu’un indice, un de plus, de notre naïveté : la Corée est liée par un accord d’assistance réciproque avec la Russie.

Les camps des démocraties, perclus de fatigue, s’est aveuglé. Nous n’avons pas voulu voir les intentions belliqueuses de Poutine, pourtant claires depuis la Tchétchénie, la Syrie et l’annexion de la Crimée en 2014. Il a d’ores et déjà amputé 20% de territoire de la Géorgie, menace la Moldavie et manipule les élections à Tbilissi. Par ailleurs nous n’avons pas voulu mettre le holà aux visées agressives des mollahs, pourtant en place en Iran depuis 45 ans ! Nous n’avons pas anticipé la débandade française en Afrique. Quant au Moyen Orient l’histoire de ces dernières décennies illustre la cécité des démocraties occidentales incapables d’imposer aux deux camps un traitement équilibré du problème palestinien.

Kissinger disait : quand on ne sait pas où on va tous les chemins mènent nulle part.

Pour tout arranger les Etats-Unis ont sonné la retraite après leur échec en Afghanistan et leurs refus d’obstacle en Syrie en 2013. L’Europe ne s’est même pas perdu en cours de route : elle ne s’est jamais trouvée et dépense moins de 2% de son potentiel de richesse à sa propre défense. L’Allemagne de Madame Merkel, poussée par des élites mercantiles et parfois corrompues, a commis la faute impardonnable de biberonner le pays au gaz russe. Et elle a continué à vendre ses automobiles en Chine, au moment même celle-ci étranglait Hong-Kong ! La France a cru naïvement qu’en déroulant un tapis rouge devant le Président Poutine à Versailles (2017) ou à Brégançon (2019) elle allait le charmer. En retour il s’est bien moqué de nous. En Tchétchénie, en Syrie, en Géorgie, à Munich, à Minsk à propos de la Crimée ou du Donbass, les dirigeants occidentaux se sont constamment fait avoir par le maitre du Kremlin. Il est difficile, en évoquant tous ces épisodes peu glorieux, de faire la part du manque de lucidité et du manque de courage. À moins que… Raymond Aron avait l’habitude de dire « qu’on sous-estime toujours la part de c… dans les relations internationales ».

L’Occident a maintenant devant lui quatre cavaliers de l’apocalypse qui cherchent à unir leurs destins en semant le chaos : le tsar de toute Russie, l’empereur de Chine, l’ayatollah de Téhéran et le clown de Pyongyang. Leur point commun : la mort ne leur fait pas peur. Le Sud Global, parlons-en. Il est de bon ton de railler son hétérogénéité. Erreur, une fois encore ! Comment ne pas voir le ciment qui lie tous ces pays : la haine de l’Occident. Avec pour comparses plus ou moins fourbes la Turquie de M. Erdogan et l’Inde de M. Modi, artistes du double jeu.

Tous haïssent ce que nous sommes : la liberté, la démocratie et les droits de l’homme. À leurs yeux l’Occident ne doit sa prospérité d’aujourd’hui qu’à la colonisation d’autrefois. Et doit être châtiée. De ce point de vue, les Ukrainiens comme les Israéliens se battent… pour défendre nos valeurs. Ils mériteraient au moins d’être salués pour cela ! Or l’Amérique elle-même hésite à se mobiliser et pratique le service minimum : les échecs d’Irak et d’Afghanistan l’ont rendu égoïste.

Au moment où le front ukrainien flanche, où le cancer islamiste diffuse ses métastases sur toute la planète que faisons-nous pour prévenir la grande guerre qui vient ? Des discours, des communiqués, des palabres. L’ONU est bloquée, l’OTAN hésite. Nous assistons, fascinés mais inactifs à la dissémination de l’arme nucléaire, de la Corée du Nord à l’Iran…

« Que faire » disait Lénine ? Beaucoup plus que réarmer. Il faudrait retrouver la force morale qui fut celle des grands chefs qui ont su, il y a quatre-vingts ans libérer le monde de la peste brune. Au prix du sang. Un grand chef de guerre américain résumait en deux mots l’explication de toutes les défaites militaires : « trop tard ». Si l’Occident ne se réveille pas de toute urgence face aux « cavaliers de l’apocalypse » nous aurons à rendre des comptes aux générations qui nous suivent. Elles nous traiteront de lâches. Et elles auront raison.

Bernard Attali

Editorialiste