Costa Gavras, l’immortel et la mort
Tel un philosophe grec, l’éternel cinéaste nous entraîne dans une méditation fascinante sur nos derniers instants et sur la dignité humaine, au moment où la France s’interroge sur les vertiges de la fin de vie.
Chaque film de Costa Gavras est un évènement. Depuis cinquante ans, ses films nous font vivre chaque épisode de notre vie avec son regard précis, profond, sans concession, mettant sa caméra au coeur de l’histoire, nous obligeant à réfléchir sur la Grèce des colonels (Z), les tribunaux spéciaux de Vichy (Sections spéciales), l’impérialisme américain (Missing), le communisme (L’Aveu) ou la responsabilité du Vatican dans l’extermination des juifs (Amen).
Cette fois ci, Costa Gavras nous emmène visiter une unité de soins palliatifs dans la région parisienne. Tiré d’une conversation publiée en livre, entre un médecin, le docteur Grange, chef d’une unité dans l’hôpital d’Houdan, qui a fermé depuis, faute de médecin, et un philosophe, Régis Debray, le scénario conduit les deux protagonistes à visiter les patients en fin de vie pour approcher la question de la mort imminente, et la façon de l’aborder. Kad Merad et Denis Podalydès sont excellents, un médecin pédagogue bienveillant d’un côté, et de l’autre un philosophe à la fois curieux et angoissé de son propre sort. Charlotte Rampling, Marilyne Canto, Hiam Abbas, Karin Viard, Elisabeth Quin et quelques autres complètent cette distribution brillante.
C’est un film inhabituel, qui nous conduit au bord du gouffre, ce dernier souffle, qu’il s’agit d’apprivoiser pour moins le redouter lorsque son tour viendra. Est-ce possible ? Avec tous ces malades que l’on côtoie, le soignant s’asseyant à côté des patients pour les écouter, converser avec eux, les rassurer, on rencontre toutes les situations : l’angoisse, la sérénité, la présence dérangeante ou rassurante de la famille, la joie des festifs qui font une dernière fête, la rage de cette jeune femme enlevée trop tôt à la vie, le dévouement de ces personnels médicaux, patients, émouvants, eux qui savent la suite que certains malades ne veulent pas voir, tandis que d’autres savent se préparer et partir dignement.
Tout est dans ce mot, la dignité. C’est ce terme qui guide la recherche de Costa Gavras. Avec sa simplicité, son sourire généreux et son charme que les années n’atteignent pas, il reconnaît dans ses entretiens, avec un grand sourire, sa préoccupation personnelle, compte tenu de son âge (92 ans cette semaine), et aussi le fait que le film ne traite qu’une partie de cette immense question, la mort, mais pas l’euthanasie ou l’aide à mourir.
On le voudrait immortel comme ces dieux de l’Olympe, si proches de ses origines grecques, et ainsi démentir son propos, lui apporter un nouveau souffle, qui lui permette de poursuivre éternellement son travail de cinéaste, tant la sincérité et la vérité l’habitent, et nous font du bien. Il nous entraîne dans des chemins certes difficiles, mais finalement réconfortants, quand on le voit avec Michèle, sa femme et productrice, nous parler et nous montrer en face ce que nos sociétés cherchent à cacher, cet effacement de nous-mêmes, qui n’empêche rien de la vie que ce beau film donne envie de célébrer.
« Le Dernier Souffle », de Costa-Gavras avec Kad Merad, Denis Podalydès, Marylin Canto, Charlotte Rampling (1 h 39).