Crimes de guerre israéliens?
Nouvelle frappe meurtrière à Gaza contre une école : l’armée israélienne a-t-elle le droit de tuer autant de civils pour atteindre les combattants ennemis ? Quand elle les atteint…
Au milieu de tant d’horreurs commises à Gaza de part de d’autre, celle-ci mérite une mention particulière. Dans ce qui devient une sorte de routine pour l’armée israélienne, des dizaines de personnes (une centaine selon le Hamas, moins selon les Israéliens), ont été tuées dans le bombardement par missiles d’une école du quartier l’Al-Daraj dans la ville de Gaza. La frappe a eu lieu à l’heure de la prière du matin, dans un bâtiment qui servait de refuge à des familles déplacées à la suite d’autres bombardements. Les victimes, nombreuses, sont des civils, dont une bonne part de vieillards, de femmes et d’enfants. Aux morts s’ajoutent un nombre indéterminé – mais élevé – de personnes blessées.
Il est une mauvaise manière de condamner ce révoltant massacre : reprendre le leitmotiv d’une large fraction du mouvement propalestinien en fustigeant « le génocide en cours ». Outre que l’ONU a parlé, non d’un « génocide », mais d’un « risque de génocide », ce qui n’est pas la même chose, la qualification est difficile à utiliser : elle supposerait que l’armée israélienne ait la volonté patente de tuer une grande partie de la population de Gaza, sinon sa totalité, sans objectif militaire particulier, dans le seul but de l’éliminer. Quelle que soit la violence de la guerre, la chose n’est pas établie. En fait, l’utilisation du mot « génocide » a surtout pour but d’assimiler la guerre israélienne aux exactions nazies de la deuxième guerre mondiale, de manière à délégitimer l’État lui-même.
De même, le discours militant qui nie toute légitimité à la riposte israélienne au massacre terroriste et barbare du 7 octobre, qui assimile l’attaque du Hamas à un « acte de résistance » et l’action israélienne à une « répression coloniale », est purement propagandiste. Israël est un état reconnu par la communauté internationale, qui a le droit de se défendre et de vivre dans des frontières « sûres et reconnues ». Après le 7 octobre, quel gouvernement aurait pu rester inerte face à une telle offensive terroriste ? Condamner par principe sa riposte, c’est lui dénier le droit à l’existence, comme en témoigne le slogan à la fois niais et criminel : « Libérez la Palestine de la rivière à la mer ».
Dans leur grande stupidité militante, ceux qui emploient ces arguments ne voient pas qu’ils facilitent en fait la défense rhétorique du gouvernement Netanyahou. Plutôt que de répondre des ordres qu’il donne à son armée, il lui est bien plus aisé de démonter des accusations outrancières et mal fondées juridiquement lancées par des organisations vouées à la disparition d’Israël, de focaliser le débat public sur les exagérations des porte-parole du Hamas ou de l’extrême-gauche. Il évite ainsi la discussion nécessaire – et délicate – non sur le principe de son action, mais sur ses modalités brutales et sanglantes, si cruelles pour la population civile.
Il faut donc formuler la question autrement : en bombardant ainsi, à répétition, des bâtiments où se réfugie la population civile, la démocratie israélienne se rend-elle coupable de crimes de guerre, qui méritent condamnation s’ils sont établis devant une juridiction internationale (laquelle jugerait aussi les crimes commis par les combattants du Hamas, qui sont également légion) ?
Terrain beaucoup plus solide pour l’accusation et plus embarrassant pour le gouvernement Netanyahou : contrairement à ce qu’on croit souvent le « droit de la guerre », formule qui paraît oxymorique au profane, est clairement défini depuis longtemps, sous le nom de « Droit international humanitaire (DIH) ». Il repose sur plusieurs textes fondateurs ratifiés en partie au lendemain de la seconde guerre mondiale et énonce plusieurs principes fondamentaux sur la protection des populations civiles en temps de guerre : la distinction entre civils et combattants ; la proportionnalité dans l’attaque ; la précaution dans l’attaque ; l’interdiction des maux superflus. « Les quatre conventions ont été ratifiées de manière universelle, donc elles ont été acceptées par l’ensemble des États », explique Caroline Brandao, enseignante-chercheuse en droit humanitaire, citée par Le Monde.
Ces règles tirent aussi leur légitimité du droit coutumier, à savoir un ensemble de règles non écrites généralement acceptées par tous les pays et toutes les cultures depuis plusieurs siècles et reconnues aujourd’hui comme source du droit international, explique Mme Brandao. « On ne peut plus arguer de ne pas être concerné et dire “ça ne s’applique pas à moi”. » Impossible, donc d’attribuer ces prérequis juridiques à des organes internationaux partisans, tactique souvent employées par Israël, qui leur reproche d’obéir à des critères dictés par certains pays hostiles. C’est un droit universel, en vigueur depuis des siècles.
A priori, donc, le massacre de l’école du quartier Al-Daraj tombe exactement sous le coup de cette législation. C’est un crime de guerre. L’armée israélienne se défend en affirmant que les mêmes bâtiments abritaient aussi un centre de commandement terroriste et que le bombardement a tué 19 activistes islamistes. Il apparaît en effet que l’organisation terroriste se protège souvent en plaçant ses installations de combat dans des bâtiments civils (hôpitaux, écoles, centres humanitaires ou sociaux), ce qui est également tenu pour un crime de guerre par les mêmes conventions.
Mais une illégalité peut-elle en excuser une autre ? Est-il légitime de tuer autant de civils, hommes, femmes et enfants, pour atteindre une poignée de combattants ? D’autant que, dans certains cas, l’armée agit sur la base renseignements erronés et tue donc des civils sans aucun bénéfice militaire, quand elle ne frappe pas des bâtiments civils sans même se demander s’ils camouflent des terroristes ? Sans compter les innombrables bombardements infligés de manière indistincte à des immeubles d’habitation.
Telle est la vraie question juridico-morale posée à Gaza : la démocratie israélienne, ripostant à une attaque barbare, se rend-elle coupable de crimes de guerre répétés dans l’action qu’elle mène depuis le 7 octobre ? Pour être franc, les nombreux documents accumulés, les exemples qui se multiplient, les témoignages de la presse et des organisations humanitaires présentes sur place – et sans nier en rien le droit d’Israël à se défendre – semblent bien le démontrer. Outre que cela rend d’autant plus urgent l’instauration d’un cessez-le-feu, il reviendra aux tribunaux internationaux d’en décider officiellement.