Criminalité : la gauche une nouvelle fois piégée
La mort de la jeune Louise dans des circonstances effrayantes a donné lieu à un pénible et scandaleux ballet médiatique orchestré par l’extrême-droite. Mais la gauche, comme à son habitude, est tombée dans le piège…
Il a raison, Patrick Cohen. Cette fois la fanfare Bolloré s’est surpassée. Entre la trompette Pascal Praud, le trombone JDD, la crécelle Frontière, organe d’extrême-droite sans cesse invité sur CNews, et quelques autres tubas et grosses caisses bolloréens sur Europe 1, le leitmotiv de « l’ensauvagement » du pays, suscité par un crime atroce, a été diffusé à plein jeu par l’orchestre dont le milliardaire breton tient la baguette.
Il a d’abord été question, sans un début de vérification, d’un crime commis par un sans-papier, accusation mécanique, rituelle et diffamatoire. Puis, une fois la vraie identité du meurtrier révélée – et sans aucune excuse – de la soi-disant décadence sécuritaire du vieux pays miné par le laxisme judiciaire, l’impéritie des pouvoirs publics, le déni des médias (alors que la mort de la petite Louise a fait la une régulièrement depuis qu’il a été connu), et la « culture de l’excuse » imposé par une gauche aveuglée par la « bien-pensance ». Pure propagande consciemment organisée à des fins de gain politique.
CNews ou Fake-News ? Les chiffres du ministère de l’Intérieur contredisent ces réquisitoires ignares qui s’appuient, non sur les faits, mais sur l’émotion (évidemment compréhensible) de l’opinion. Depuis dix ans, la délinquance des mineurs, tout comme le nombre de mineurs victimes d’agression, est plutôt stable, en baisse sur la dernière période. Le contraire exact de ce qui est asséné avec véhémence et suffisance sur le réseau bien coordonné des médias d’extrême-droite.
Mais, comme le note Cohen au début de son édito, on aurait tort de s’arrêter là. C’est rejouer l’éternel et caricatural débat sur la criminalité en France. La droite gonfle les chiffres à loisir sur un ton alarmiste et propose la énième loi sur la sécurité, la gauche les conteste pour crier à l’activisme « sécuritaire » et à la « lepénisation des esprits ».
A ce jeu éternel et malsain, sur fond de drame humain – et souvent, comme dans le cas de jeune Louise, sans le consentement de la famille – la droite ou l’extrême-droite exploitent l’indignation publique et jouent gagnantes. Elles ont avec elles l’émotion populaire et le compréhensible désir de punition. Avec ses arguments rationnels, ses raisonnement chiffrés, ses appels au recul et à la réflexion, la gauche prend automatiquement le mauvais rôle : celui de gens qui sous-estiment la délinquance et se soucient plus de principes abstraits que du sort concret des victimes, présentes ou futures.
Il est une autre attitude, plus juste, plus pertinente. D’abord parce les chiffres, dès qu’on les examine avec réalisme, sur le moyen terme, montrent bien une montée de la violence en France depuis les années 1960, qui fluctue, certes, diminue parfois, mais progresse néanmoins sans doute possible (même si elle reste inférieure à ce qu’elle est dans de nombreux pays comparables et à ce qu’elle a pu être dans un passé plus lointain).
En fait, quel que soit le niveau exact de la délinquance, sur lequel on peut ergoter à l’infini, il est trop élevé. Il n’y a donc qu’une seule question qui vaille : comment le faire diminuer ? Ce qui suppose une politique de fond, sur la durée, qui combine répression et prévention, action policière et action sociale, sans chercher sans cesse à minimiser l’insécurité très réelle qui règne dans certains quartiers, en général les plus défavorisés.
C’est en opposant une politique à une autre, autrement dit, à l’obsession répressive de la droite, une action de sécurité globale réaliste, sévère mais humaine, humaine mais sévère, qu’on rendra service aux Français. C’est en proposant une politique ni purement « sécuritaire », comme le voudrait la droite, ni « laxiste », comme on le dit trop souvent de la gauche, que l’on sortira de ce débat piégé. « Tough on crime, tough on the causes of crime », disait Tony Blair (« dur avec le crime, dur avec les causes du crime »). Il avait raison…