Culture : silence, on coupe !
Madame Morançais, présidente de la région Pays de Loire, vient de sabrer 75% des crédits de la culture. Aucune réaction, ni dans la droite républicaine, ni au sein de la gauche…
Le 10 novembre 1848, Victor Hugo, députés à la Constituante prononce un discours sur « la question des encouragements aux lettres et aux arts. » Bien qu’élu par la droite, le parti de l’ordre, il prend des positions de plus en plus à gauche et se bat contre l’ignorance. Il monte à la tribune pour dénoncer une réduction du budget qui menace les lettres, les arts et les sciences. « Point d’économie sur l’intelligence », tel est le leitmotiv de son discours. Brader la culture, c’est saboter la gloire de la nation, anéantir l’édifice social, avilir le peuple. Or seul « l’encouragement enthousiaste d’un grand gouvernement peut lutter contre ces dangers ».
Voilà une présidente de région, en novembre 2024, madame Christelle Morançais, qui décide de supprimer d’un coup 75% des subventions à la culture dans les Pays de Loire, sans aucune concertation, alors que toutes les programmations sont décidées. Elle écrit n’importe quoi sur les artistes et les institutions culturelles, coupe les vivres à ceux qui essayent de faire réfléchir, rire et apprendre, en les accusant de tous les maux. Voilà une personne, donc, qui, seule, décide de la mort de tout un secteur créateur d’emplois, indispensable à la vie collective, et à l’intelligence humaine, à un moment où l’on en a le plus besoin.
Et que se passe-t-il ? Rien.
Certes, sur place, une fois passée la sidération, on se mobilise : manifestations, lettres ouvertes, pétitions, tribunes dans les journaux, protestations syndicales, tout le monde est sur le pont. Cela change-t-il d’un iota la position de madame Christelle Morançais ? Non. Qui a-t-on entendu s’indigner, monter à la tribune, comme Victor Hugo, et parler haut et fort ? Personne. Qu’a dit Édouard Philippe, candidat à la présidentielle, chef du parti auquel appartient la présidente de région ? Pas un mot. La ministre de la Culture, Rachida Dati, directement concernée par ces assassinats culturels ? En attente de sa reconduction, elle est aux abonnés absents.
La gauche, dont le parti communiste fut si actif auprès des intellectuels et qui porta le chant poétique d’Aragon ? Le parti socialiste qui a tant fait sous François Mitterrand et avec Jack Lang pour que la culture rayonne dans le monde et en France, comme l’avait fait avant eux de Gaulle et Malraux ? Silence radio, ils sont sourds et aveugles. L’exception culturelle française, dont Mitterrand et Chirac également furent les hérauts, et dont ils se réclament, appartient aux livres d’histoire, ils ne savent même plus ce dont il s’agit.
Je dis qu’ils sont tous coupables de ce silence mortifère, ces responsables politiques, obnubilés par leurs querelles politiciennes pour se rendre compte que sous leurs yeux on assassine la réflexion, le talent, et que l’on contribue à décerveler un public qui précisément a soif de comprendre le monde. Fermée, la maison de Julien Gracq à Saint-Florent le Vieil, asphyxiés, les festivals de musique et de cinéma, les médiathèques, les théâtres… L’art, nouvel opium du peuple, doit disparaître, sauf s’il rapporte de l’argent.
Certes la situation générale de la France et du monde est critique et l’on pourrait trouver excessif de s’alarmer pour quelques subventions supprimées dans une région. Mais le tabou est levé et d’autres suivront. L’aveuglement est le même que celui qui conduisit à « L’étrange défaite » décrite si précisément par Marc Bloch, que Macron veut à juste titre panthéoniser alors qu’il est lui-même l’un des principaux acteurs de cette débandade politique, de cet avachissement de la conscience culturelle d’un pays. Rappelons cette idée de Gramsci : la conquête des esprits commence par la culture et finit par le totalitarisme.
Le vote du conseil régional des pays de Loire sur le budget 2025 aura lieu le 19 décembre.
Nous verrons si ce meurtre culturel est soutenu par cette assemblée et s’il se trouve un Hugo pour s’élever contre ces « économies sur l’intelligence ».